« Les outils étaient déjà prêts, les esprits pas toujours », résume le Dr Elie Winter, psychiatre libéral à Paris et secrétaire général de l’AFPEP-SNPP (Association Française des Psychiatres d’Exercice Privé et Syndicat National des Psychiatres Privés). L’entrée en confinement a été déstabilisante pour les patients comme pour les psychiatres, obligés de s’adapter. La téléconsultation, passée de 1 % du total des consultations médicales (toutes spécialités confondues) en France à 11 % en mars 2020 selon l’Assurance Maladie, a donc été le principal moyen des psychiatres libéraux pour soigner et suivre leurs patients. « Au début, nous avions des soucis techniques avec la visioconférence. La qualité du son était faible et celle de l’échange en pâtissait », souligne le Dr Winter. Heureusement, le 6 avril, la Sécurité sociale a élargi le remboursement de la téléconsultation à celles effectuées par téléphone pour ceux qui ne pouvaient pas avoir accès à ces outils. « Concernant les outils, les applications comme Skype ou WhatsApp ont largement suffi. Le remboursement par la Sécurité sociale a également bien fonctionné », constate le psychiatre.
Afin de respecter le confinement, le psychiatre parisien a lui-même choisi de basculer toutes ses consultations à distance, à l’exception d’un rendez-vous en présentiel par semaine. « La technique rendait cela faisable, alors on s’adapte. J’ai réussi à garder mon activité à la normale. Nous avons beaucoup échangé entre médecins. Ceux de Paris et de l’Est semblent avoir maintenu davantage d’activité que les autres », détaille-t-il.
Le Dr Winter souligne la diversité des effets de la téléconsultation sur l’exercice psychiatrique : « Il est encore trop tôt pour avoir un regard juste sur la question. La téléconsultation peut permettre comme empêcher. Pour certaines personnes, d’habitude intimidées, elle a facilité l’accès au soin ou leur a permis de dire ce qu’ils ne nous auraient pas dit en face. Pour d’autres, elle a été impossible ou a reporté ce qu’ils souhaitaient exprimer. » La téléconsultation serait donc plus adaptée pour certaines personnes ou certaines situations.
Une période d’expérimentation organisationnelle
L'usage de la téléconsultation perdurera-t-il après l'épidémie ? Même si le secrétaire général de l’AFPEP-SNPP considère qu’une place doit y être laissée, il en soulève quelques inconvénients. « Avec le confinement, même s’il y a eu des améliorations nettes chez certains patients, les situations graves l’étaient davantage. De nombreuses crises suicidaires nous ont été remontées et il était alors difficile d’intervenir à distance pour les psychiatres », remarque-t-il. Toutes proportions gardées, le médecin souligne aussi la fatigue provoquée par le rythme continu des consultations en ligne, sans salle d’attente.
Cette fatigue due aux écrans et au rythme des appels, le Dr Thierry Delcourt, pédopsychiatre, vice-président de l’AFPEP-SNPP, l’a également notée mais dresse tout de même un bilan positif de la téléconsultation. Installé à Reims, il a choisi de consulter uniquement à distance. Le spécialiste explique que souvent, après une première réaction de repli sur soi, la relation entre le psychiatre et le jeune patient en ressort renforcée. « La téléconsultation prend plus de temps. Il faut retrouver le contact, saisir le jeune dans son espace intime et inventer un passage, via des dessins, par exemple. Alors, quand les patients sont sûrs que personne ne les écoute derrière leur porte, ils arrivent à dire des choses qu’ils n’arrivaient pas à dire au cabinet », observe-t-il.
Cette intimité nouvellement partagée peut aussi en gêner certains et les écrans peuvent manquer d’en canaliser d’autres, comme, par exemple les enfants hyperactifs. « Cependant, les écrans sont bien plus habituels pour les jeunes que pour nous. Ils ne sont pas dépaysés », nuance le Dr Delcourt. Ce dernier continuera la téléconsultation jusqu’en septembre et souhaite l’incorporer dans sa pratique par la suite. « Je ne ferais pas du plein-temps en téléconsultation mais pourquoi pas y accorder un quart de mon temps. Cela apporte plus de souplesse et arrange grandement les familles qui font parfois un aller-retour de trois heures », soulève-t-il, en pointant le manque de pédopsychiatre en Champagne-Ardenne.
Selon ses échanges avec les médecins du syndicat, il estime environ à 15 % la part de psychiatres refusant de téléconsulter. L’AFPEP-SNPP n’a pas encore effectué une étude sur le vécu et la perte de revenus de ses membres mais les deux représentants situent cette dernière entre 25 et 40 % en moyenne.
La consultation à distance, un outil complémentaire
Le Syndicat des Psychiatres de France et l’Association Française de Psychiatrie (SPF-AFP) ont, quant à eux, interrogé leurs membres via un questionnaire en ligne. 250 psychiatres libéraux y ont répondu, n’offrant pas un échantillon représentatif mais une idée plus précise de leur situation. Parmi eux, 12 % ont effectivement dû arrêter leur activité pendant le confinement, par choix ou par contrainte. « Concernant la qualité du suivi (47,3 %) ou des soins (32,2 %), l’outil semble moins convaincant. Enfin, c’est moins de 30 % des répondeurs qui imaginent que la téléconsultation s’inscrira durablement dans notre pratique », signale le communiqué.
Le président du SPF-AFP, le Dr Maurice Bensoussan, confirme ces retours mitigés. Le spécialiste basé à Colomiers (Haute-Garonne), souligne le caractère exceptionnel de la situation : « D’habitude sollicités, les psychiatres ont dû cette fois solliciter les patients afin qu’ils aient accès aux soins dont ils avaient besoin. »
Le confinement a assis le rôle complémentaire de la téléconsultation en psychiatrie, selon le Dr Bensoussan. « C’est un outil précieux qui nous a permis de travailler en sécurité. Le téléphone a été salutaire car les patients n’ayant pas accès aux outils numériques sont aussi ceux qui présentent souvent les pathologies les plus graves. Le téléphone ne remplace pas une thérapie, relève-t-il. Au moins, le confinement redonne toute sa place au métier et confirme que les consultations en présentiel sont irremplaçables. » Ayant aussi remarqué une plus grande collaboration entre professionnels de santé durant le confinement, notamment entre médecins généralistes et psychiatres libéraux, le Dr Bensoussan espère que ces rapprochements perdureront et faciliteront l’accès aux soins.
Sources sondage SPF AFP : https://psychiatrie-francaise.com/https-psychiatrie-francaise-com-categ…
Article suivant
Consultation à distance : trois psychiatres expliquent leurs choix
Psychiatrie libérale : quel bilan tirer du confinement ?
Consultation à distance : trois psychiatres expliquent leurs choix