Suicide du Pr Barrat à l'hôpital Avicenne (AP-HP) : un médecin et la doyenne devant l'Ordre pour violation du secret médical

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Publié le 03/12/2019

Crédit photo : S. Toubon

Le conseil départemental de l'Ordre des médecins de Paris a tenu ce mardi une séance de conciliation entre le président de la commission médicale d'établissement (CME) de l'hôpital Avicenne (Bobigny, AP-HP) et la doyenne de l'UFR de santé, médecine et biologie humaine à Paris 13 d'une part, et d'autre part la veuve du Pr Christophe Barrat, chirurgien qui s'est suicidé le 3 février 2019 par défenestration dans les locaux de l'hôpital. 

Le Pr Yves Cohen et le Pr Nathalie Charnaux sont accusés d'avoir violé le secret médical dans deux courriers évoquant l'état de santé du chirurgien de 57 ans adressés à la communauté hospitalière et à la presse. Les deux médecins font aussi l'objet d'un dépôt de plainte pour le même motif auprès du procureur de la République du TGI de Bobigny, plainte qui vise également Didier Frandji, directeur d'Avicenne à l'époque des faits, lui aussi signataire des deux courriers.

La double plainte que s'est procurée « le Quotidien » revient sur les circonstances du décès de ce spécialiste de la chirurgie générale et digestive. PU-PH depuis 2003, le Pr Barrat était responsable de l'activité de chirurgie bariatrique et métabolique du groupe hospitalier Hôpitaux universitaires Paris-Seine-Saint-Denis, qui regroupe trois hôpitaux : Avicenne, Jean-Verdier et René-Muret. 

En juillet 2018, le médecin s'est vu diagnostiquer une tumeur rare de la parotide, pour laquelle il subit une opération le 31 octobre de la même année. Le mardi 29 janvier, le Pr Barrat a réalisé une IRM « laquelle augurait de suites favorables », faisant cas d'une « absence de récidive tumorale locale ». Le chirurgien devait entamer une troisième cure de chimiothérapie le 4 février 2019. Il a mis fin à ses jours la veille, « vers 17 heures, en se défenestrant de son bureau situé au cinquième étage de l'hôpital Avicenne »

Instrumentalisation

Le lendemain, une cellule psychologique a été ouverte pour épauler la communauté médicale et soignante, bouleversée par ce nouveau suicide. Un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) s'est réuni dans l'hôpital. 

« Au cours de cette réunion à caractère administratif, évoque la plainte ordinale, il a été publiquement annoncé […] que le Pr Christophe Barrat a mis fin à ses jours en raison du cancer dont il était atteint. » Le même jour, un courrier interne adressé par la direction d'Avicenne à la communauté hospitalière (des trois établissements) et signé par les trois personnes visées par la double plainte évoquait la maladie du médecin et son décès : « Le Pr Christophe Barrat, âgé de 57 ans, luttait depuis plusieurs mois contre une maladie grave, il a mis fin à ses jours hier à l’hôpital Avicenne. » Ce rapprochement a secoué une partie de la communauté médicale, qui a reproché à l'hôpital d'instrumentaliser la maladie du Pr Barrat pour éviter de prendre ses responsabilités. 

Avec l'accord de la famille

Le 6 février, l'AP-HP sortait de son silence en adressant via la direction de la communication externe un communiqué intitulé « Information sur le décès du Pr Christophe Barrat » et signé par Didier Frandji, les Prs Cohen et Charnaux.

« Nous regrettons d’avoir à nous exprimer publiquement et de sortir du recueillement plus opportun en cette période de deuil. Toutefois, les circonstances nous obligent à le faire et ce en plein accord avec la famille du Pr Christophe Barrat […], y lisait-on. Nous avons fait référence, dans le message diffusé au sein du groupe hospitalier et des instances de l’AP-HP, à l’état de santé du Pr Christophe Barrat afin, selon l’expression même de son épouse, "d’apporter un éclairage au geste de son mari". Nous n’avons donc en rien rompu le secret médical mais avons été autorisés à porter cet élément à la connaissance de notre communauté selon la volonté et le plein accord de la seule personne légitime à nous délier de ce secret : son épouse, qui a validé ce message avant qu’il soit diffusé. »

Principe général et absolu

Mais selon l'avocat de la veuve du chirurgien et auteur de la plainte, Me Romain Graëffly, cet argumentaire ne tient pas. « La révélation de l'état de santé du Pr Barrat, effectuée en public le lundi 4 février 2019, puis réitérée le mercredi 6 février, est constitutive d'une indéniable transgression du secret médical par la direction de l'hôpital Avicenne de Bobigny. »

L'avocat rappelle dans la plainte que « le secret médical est un principe général et absolu » à partir duquel la jurisprudence ordinale et de droit commun tire « des conséquences cruciales », à savoir : « le malade lui-même ne peut délier le médecin de son obligation de secret ; cette obligation ne cesse aucunement après la mort du malade ; le secret s’impose à l’égard d’autres médecins dès lors qu’ils ne concourent pas à un acte de soins ». « En l'occurrence, conclut Me Graëffly, peu importe qu’une autorisation ait été ou non donnée verbalement par [l'épouse du Pr Barrat], laquelle était, de toute façon, en état de choc aux dates des 3 et 4 février 2019. »

La plainte ordinale a été déposée le 23 septembre auprès de l'Ordre de Seine-Saint-Denis, tableau où le Pr Barrat était inscrit. Les ordinaux du 93 souhaitant éviter tout conflit d’intérêts, la plainte a été délocalisée à Paris.

La séance en commission de conciliation ordinale de ce mardi est l'étape préalable à la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire. En cas d'accord entre les deux parties, l'affaire en restera là sauf si le conseil départemental se saisit du dossier. En cas de non-conciliation, la plainte sera transmise à la chambre disciplinaire de première instance dans un délai de trois mois. 

Contactées, ni l'AP-HP, ni la faculté de médecine de Paris 13 n'ont répondu à nos sollicitations. 

[MAJ à 16 heures ] La conciliation entre les deux parties a échoué, a précisé Me Graëffly au « Quotidien». Le dossier sera étudié par la chambre disciplinaire de première instance en janvier. 


Source : lequotidiendumedecin.fr