Entretien avec le président de l'Association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social (MCOOR)

Dr Gaël Durel  : « Une crise sanitaire, c'est un médecin qui doit la gérer, pas un directeur »

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Publié le 14/05/2021
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L'épidémie de Covid-19 a mis en lumière le rôle du médecin coordonnateur dans la prise en charge médicale des personnes âgées. Pour le Dr Gaël Durel, président de l'Association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social (MCOOR), la crise est une opportunité pour réformer le modèle des EHPAD qui doivent s'ouvrir vers l’hôpital et le domicile et laisser plus de place au médecin coordonnateur dans la gouvernance.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Quel est l'état d'esprit dans les EHPAD quatorze mois après le début de l'épidémie ?

Dr GAËL DUREL : Il y a un sentiment d'usure, de burn-out pour certains, de tensions pour d'autres. Il serait temps qu'on sorte du tunnel. La hantise de voir apparaître de nouveaux clusters dans les EHPAD fait que nous ne pouvons pas être complètement sereins. Car nous constatons depuis plusieurs semaines des cas de résidents vaccinés mais positifs au Covid. Tous les jours nous recevons des alertes, des cas peu symptomatiques nous sont remontés mais aussi des situations nécessitant une réanimation et des décès.

S'agit-il d'un échappement vaccinal ou est-ce plus important que cela pour cette population très vulnérable ? À l’heure qu’il est, nous ne le savons pas. Une étude est en cours ; elle devrait se terminer en juin. Pour l'instant, l'hypothèse privilégiée est celle de 10 à 15 % de résidents qui n'ont pas d'immunité suffisante pour avoir des anticorps durables après la vaccination. D'où l'intérêt d'une troisième dose de vaccin pour les résidents d'EHPAD de même que pour tous les immunodéprimés en France. Tout cela doit s'accompagner du maintien des gestes barrière pour limiter les nouveaux clusters. Nous sommes donc opposés aux mesures d'assouplissements annoncées par le président de la République. Tant qu'on aura un taux de circulation élevé du virus et des résidents d'EHPAD faiblement protégés, il faut maintenir la prudence.

Où en est la campagne de vaccination dans les EHPAD aujourd'hui ?

Au niveau des résidents, dans la majorité des EHPAD de France, le taux de couverture avec deux doses atteint 90 % à 95 %. Les réticences qui existaient au mois de janvier ont quasiment disparu quatre mois plus tard. On ne peut que s'en réjouir. Au niveau des personnels, on observe de grandes disparités en fonction des établissements et des régions. En moyenne nationale, on est plutôt autour de 70 % à 80 % de couverture. Mais dans certaines régions les EHPAD ont du mal à être au-dessus de 50 %. La défiance concernant le vaccin Astra Zeneca a fait des dégâts auprès de nos soignants. Mais depuis qu'ils sont éligibles au Pfizer ou au Moderna, il y a une augmentation extrêmement importante de la couverture vaccinale.

Cela reste toutefois insuffisant. Il faut atteindre un niveau supérieur à 90 % car dans les EHPAD, 30 % des contaminations proviennent des soignants. Il faut donc maintenir les approvisionnements réguliers, à destination des personnels mais aussi des nouveaux résidents et pour la troisième dose.

Un récent rapport de la Défenseure des droits fait état d'atteintes à la liberté des résidents d'EHPAD pendant la crise et observe une hausse des réclamations. Partagez-vous ce constat ?

L'épuisement physique et psychique des personnels est aussi lié au temps considérable passé à expliquer et justifier auprès des familles toutes les mesures que nous mettions en place. Nous avons tous fait face à des récriminations, qu'elles soient orales, téléphoniques ou par mail. Et il y a eu un taux de plaintes, auprès des agences régionales de santé ou des conseils départementaux, qui n'a cessé d'augmenter. Des collectifs de familles se sont créés pour montrer qu'il y a parfois eu des excès ou des applications sans discernement de mesures trop strictes.

Mais ce manque de discernement de certains directeurs a pu avoir lieu dans les deux sens. Nous avons reçu des plaintes aussi bien parce qu'on ne protégeait pas assez les résidents, notamment en début de crise, que parce qu'on en faisait trop. Il faut rappeler qu'un tiers des EHPAD ne dispose pas de médecin coordonnateur et que les directeurs se sont retrouvés seuls pour prendre les décisions.

Les mesures doivent être prises en fonction de chaque situation et cela, les familles ne l'ont pas toujours compris. Olivier Véran exprimait il y a quelques semaines la nécessité de revoir la gouvernance au sein des EHPAD. Nous y sommes tout à fait favorables. Une crise sanitaire, c'est un médecin qui doit la gérer, pas un directeur. Le directeur doit appliquer les consignes qui lui viennent des ARS ou du ministère. Mais c'est au médecin coordonnateur de décider des mesures pratiques qui sont mises en place.

Les EHPAD ont-ils manqué de moyens pendant la crise ?

Les EHPAD ont fait le maximum avec les moyens qu'on leur a donné. Mais le personnel est épuisé et en nombre insuffisant. Ce qui explique que dans un certain nombre de cas, les familles n'étaient pas autorisées à visiter les résidents car il n'y avait personne pour les accueillir. C'est dur à entendre pour elles et je peux comprendre qu'elles portent plainte. Mais l'établissement a fait son maximum pour que les résidents soient protégés et que le personnel soit remplacé.

Beaucoup d'EHPAD ont manqué de médecin coordonnateur. En conséquence, nous avons créé la notion de médecin référent Covid pour permettre à des médecins généralistes d'avoir un temps dédié de coordination sanitaire. À chaque fois que ce lien entre EHPAD, hôpital et domicile a été fait, cela a facilité les choses sur le terrain.

Nous avons enfin manqué de visibilité sur la gouvernance médicale au sein des EHPAD. Des médecins coordonnateurs ont été licenciés car ils s'opposaient au directeur sur des décisions sanitaires. La difficulté, c'est de pouvoir apporter une compétence gériatrique qui soit reconnue.

La crise sanitaire est-elle selon vous une opportunité pour réformer les EHPAD ?

Oui. Nous proposons pour cela le concept des maisons gériatriques de proximité. Elles seraient l'interface entre les EHPAD, l'hospitalier et le domicile. Les compétences gériatriques des médecins coordonnateurs s'articuleraient avec les capacités de fluidification des entrées et sorties depuis l'hôpital et les possibilités de faire des évaluations à domicile en lien avec la HAD et les SSIAD. Les médecins coordonnateurs de France doivent pouvoir mettre leurs compétences au service de l'EHPAD mais aussi du domicile.

Il faut aussi renforcer la médicalisation des EHPAD. La crise nous a montré que 20 à 30 % des résidents ont fait des formes graves du Covid et que le personnel médical était insuffisant. En temps normal, 25 % des décès ont lieu dans les EHPAD. Il n'y en a pas 10 % qui bénéficient de soins palliatifs de qualité. On doit pouvoir renforcer la capacité des médecins coordonnateurs à prescrire et augmenter leur temps de présence médicale en dehors de leur mission de coordination.

La profession est-elle suffisamment attractive selon vous ?

On estime aujourd'hui qu'il existe entre 3 000 et 4 000 médecins coordonnateurs en France. Mais sur les 7 000 EHPAD du pays, 2 500 n'en disposent pas. Un nouveau diplôme universitaire en deux ans sera lancé l'année prochaine. Il va remplacer la capacité gériatrique et sera désormais la seule voie pour exercer en EHPAD. Il y a aussi besoin d'une uniformisation et d'une revalorisation salariale. La référence doit être la grille de rémunération des praticiens hospitaliers avec une reconnaissance de l'ancienneté. Si, en plus, on arrive à réformer la gouvernance pour rendre le médecin coordonnateur indépendant de son directeur au niveau médical, beaucoup de confrères accepteraient de nous rejoindre.

Qu'attendez-vous de la loi sur le grand âge et l'autonomie sans cesse reportée ?

Cela fait plusieurs ministres de la Santé que je côtoie. Je ne remets pas en cause leur sincérité et leur engagement pour les personnes âgées. Mais malheureusement, on a l'impression qu'à chaque fois c'est la décision économique émanant de Bercy qui prime. Il faut reconnaître cependant que depuis un an, à la faveur de la crise, il y a une vraie communication entre le ministère et nous, ce que nous n'avions pas auparavant. On sent une vraie volonté de faire bouger les choses rapidement. Est-ce que ce sera le cas avant la fin du quinquennat ? Ça risque d'être juste. Quoi qu’il en soit, les futurs candidats aux élections présidentielles devront se positionner sur la place qu'ils donneront aux personnes âgées dans leurs programmes.

Propos recueillis par Martin Dumas Primbault

Source : Le Quotidien du médecin