Système de santé à l'étranger

En Espagne, le marasme de la pédiatrie de proximité

Publié le 09/07/2021
Article réservé aux abonnés
Effectifs en berne, horaires difficiles, contrats précaires, manque de reconnaissance : la pédiatrie connaît de très grandes difficultés, principalement dans les centres publics de santé.

La pédiatrie est en souffrance en Espagne. Le nombre de spécialistes en formation MIR (l’équivalent de l’internat) a diminué régulièrement depuis 2008 et le rebond très récent (2020) risque de ne rien régler. Comme l’explique le Dr Luis Blesa, président de l’Association espagnole de pédiatrie (AEP), cette dernière tendance « ne signifie pas nécessairement une amélioration puisque ces nouveaux professionnels iront sans doute chercher de meilleures conditions de travail et de rémunération à l’étranger ».

Si la situation est gérable dans les hôpitaux espagnols (avec 4 550 pédiatres salariés), la pénurie devient criante dans les centres de santé – ces dispensaires publics implantés dans les quartiers urbains et les petites agglomérations, premier niveau du système public de santé ibérique. Il faudrait augmenter les effectifs d’« au moins 25 % » (par les gouvernements régionaux compétents), selon l’Association espagnole des soins primaires de pédiatrie (AEPAP). Encore faudrait-il que les conditions de travail et de rémunération soient améliorées.

Disparités géographiques

Premier constat, la distribution de ces spécialistes se révèle très inégale puisque, dans la région de Madrid, chaque pédiatre prend en charge en moyenne 1 125 enfants ou adolescents, alors que dans les Asturies ce ratio ne dépasse pas 800. En dehors de la capitale, « les situations les plus compliquées se trouvent dans les Îles Baléares, en Castille du sud et dans certaines provinces d’Andalousie comme Cadix ou Almeria », illustre le Dr Pedro Gorrotxategi, pédiatre au Pays basque depuis plus de 25 ans et porte-parole de l’AEPAP.

De fait, le métier de pédiatre en centre de santé offre une situation peu enviable. Les horaires – le plus souvent l'après-midi et jusqu'à 21 h pour ne pas chevaucher le temps scolaire – compliquent la tâche des jeunes médecins, principalement des femmes qui souhaitent concilier travail et vie familiale. Surtout, « les contrats de quelques mois proposés aux jeunes pédiatres dans plusieurs régions ne sont absolument pas encourageants ; entre un contrat de trois mois dans la capitale et un de trois ans à Tolède, le choix est facile à imaginer », souligne le Dr Marciano Sanchez Bayle, qui a exercé 42 ans comme pédiatre et présidé l’Association pour la défense de la santé publique de Madrid.

Formation hospitalo-centrée

De surcroît, la formation durant l'internat est quasi exclusivement orientée vers l’activité hospitalière. Pendant leurs quatre années de spécialisation, les futurs pédiatres ne « tournent » dans les centres primaires de santé que pendant trois mois, « ce qui ne les aide pas à se faire une bonne idée de notre activité au contact de la population », se désole le Dr Ana Maria Roca, pédiatre à Barcelone depuis 25 ans.

Même si ces pédiatres de proximité s'estiment très peu considérés par rapport à leurs confrères hospitaliers mieux lotis, c’est le choix assumé du Dr Véronica Gómez. Après 11 ans comme médecin de famille, elle a entamé sa spécialisation en 2017 et vient d’intégrer un poste de pédiatre public en dispensaire. « Bien sûr, nous ne travaillons pas ici, comme nos confrères hospitaliers, sur des grandes études scientifiques, des analyses ou des radios ; mais nous avons devant nous des enfants et des adolescents avec leurs incertitudes et leurs difficultés quotidiennes ou familiales ! Dans les hôpitaux, ils travaillent sur la maladie ; nous, nous travaillons sur la personne… » Un message qu'elle voudrait transmettre aux autorités pour redorer le blason de la pédiatrie de proximité de l'autre côté des Pyrénées.  

De notre correspondant  Christophe Deschamps

Source : Le Quotidien du médecin