Quels moyens pour recruter et fidéliser les soignants ?

La bataille de l'attractivité agite l'AP-HP

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Publié le 12/02/2020
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Logement, exercice mixte, protocoles de coopération… En 2020, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) veut mettre le paquet pour séduire les paramédicaux. Mais les leviers d'attractivité choisis laissent parfois sceptiques.

Crédit photo : S. Toubon

« On ne se sent jamais seul quand on est à l'AP ».

Cette petite phrase de Sylvain Ducroz, directeur des ressources humaines de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), a fait grincer les dents d'une partie des 500 cadres du CHU francilien réunis fin janvier en congrès. Et a révélé une césure entre la direction et l'encadrement qui fait tourner les 39 hôpitaux sur le terrain. En cause : la pénurie paramédicale chronique et, en corollaire, la politique de recrutement de l'établissement. 

Manipulateurs radio, infirmières (IDE, IBODE), orthophonistes, kinés… L'AP-HP souffre à tous les étages et les cadres sont en première ligne pour combler les trou dans les plannings. « Il y a trois ou quatre ans, on était tous mobilisés pour tenir les comptes, c'était ce qui importait. Aujourd'hui, le thème qui vous obsède du matin au soir, c'est l'attractivité », a reconnu le directeur général Martin Hirsch en ouverture du congrès.

Dommage collatéral, les praticiens sont affectés dans l'organisation des soins. « Les services ne fonctionnent pas sans paramédicaux en nombre suffisant, souligne le Pr Rémi Salomon, tout nouveau président de la communauté médicale d'établissement (CME) centrale de l'AP-HP. Sans eux, les blocs ne tournent plus, les lits ferment. Quand les infirmières me disent remettre en question leur diplôme tous les jours, c'est qu'il y a un problème dont la communauté médicale doit se soucier beaucoup plus ! »

600 soignants de plus

Pourtant, la situation économique de l'AP-HP s'est améliorée au point d'apporter quelques marges de manœuvre. « Après un objectif de stabilité de la masse salariale en 2019, nous avons construit un budget 2020 avec une augmentation de 1,8 %, soit de plus de 80 millions d’euros, s’est réjoui Martin Hirsch lors de ses vœux. La moitié de cette somme, soit 40 millions d’euros, permettra d’augmenter les rémunérations ; l’autre moitié de recruter 600 soignants de plus. »

À ce budget s'ajoutent les 12,7 millions de crédits accordés par le gouvernement en soutien à l'investissement qui iront « directement dans les départements médico-universitaires [ex-pôles, NDLR] et les services, et non avenue Victoria », où siège la direction de l'AP-HP, a assuré le patron.

Levier de la formation

Pour recruter et fidéliser, le CHU entend « valoriser » sa politique sociale (10 000 logements avec 500 dossiers acceptés par an, crèche, colonies de vacances, etc.) « sans équivalent en Ile-de-France », selon la DRH. La formation est aussi perçue comme un levier de recrutement. « Il y a trois fois plus de chance de voir sa demande de formation professionnelle être acceptée à l'AP qu'ailleurs, argumente Sylvain Ducroz. En 2019, 80 % des infirmières sont parties au moins un jour en formation. »

De fait, le combat contre la pénurie paramédicale réclame de la souplesse sur les postes à pourvoir. « Les jeunes ne veulent pas faire le même métier toute leur vie, et même toute la semaine, analyse Aurélien Rousseau, patron de l'ARS Île-de-France. On ne recrute plus un kiné à l'hôpital sans lui laisser deux jours pour une activité en cabinet de ville […]. Ça complique les plannings, mais c'est une condition d'attractivité ». 

Dans le même esprit, l'AP-HP compte épauler les paramédicaux qui s'engagent dans des protocoles de coopération. À la clé : une formation, une aide à la rédaction et une rémunération de 80 euros net par mois. Dans certains services, les manipulateurs radio peuvent déjà réaliser la pose de PICC-line en salle de radiologie interventionnelle et des échographies ; les infirmières enregistrer et pré-interpréter des paramètres échocardiographiques transthoraciques et effectuer des bilans urodynamiques (bud). Quinze protocoles impliquant 158 médecins et 115 paramédicaux sont déjà actifs. 

Ne pas faire son métier

Le nez dans le guidon, les cadres ont bien du mal à se réjouir. Les interventions de leur DRH sont considérées avec circonspection. « C'est très bien, les intentions, mais la réalité nous rattrape vite, jette une cadre de proximité en gériatrie. Vous voulez mieux former les agents. Soit. Mais moi, je n'arrive pas à leur dégager assez de temps pour cela ! »

La délégation est mieux accueillie mais interroge sur la mise en tension de certains paramédicaux (et de leurs équipes) invités à « ne pas faire leur métier » d'origine pour aider les médecins eux-mêmes débordés. « Il faut arrêter de se leurrer, conclut le Pr Salomon. L'attractivité passe par davantage de rémunération ». En quatre heures, les cadres applaudiront leur direction une seule fois, lorsque Martin Hirsch leur annoncera l'accès à une prime de tutorat de 100 euros net par mois. 

A.B.-I.

Source : Le Quotidien du médecin