Fonction publique hospitalière

Manifestation du 10 octobre, les soignants remontés comme des coucous

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Publié le 12/10/2017
Le 10 octobre dernier, à l'appel des syndicats de la fonction publique, 26 000 manifestants ont défilé sur le bitume parisien pour protester contre les mesures du gouvernement. Parmi eux, un nombre restreint de blouses blanches. Reportage.
visuel manif

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Crédit photo : Arnaud Janin

Pour rendre compte du nombre de manifestants dans un défilé, il y a toujours deux chiffres, ceux des syndicats et ceux des employeurs (ou de la police). Selon les premiers, sur toute la France, les médecins anesthésistes ont suivi le mouvement à 72 % et l'ensemble des spécialités à 34 %. En fin de journée, toujours selon l'Assistance publique, le taux de mobilisation dans l'ensemble de la fonction publique hospitalière était de 10,4 %.

Peu de blouses blanches dans le cortège

Et pourtant dans le cortège parisien qui s'est étiré de République à Bastille, peu de blouses blanches étaient présentes. Les manifestants rencontrés sur le bitume parisien ont exprimé toutes leurs revendications.

D'abord, les conditions de travail, selon Sophie, aide-soignante, 58 ans, secrétaire de la section sud de l'hôpital Cochin, se dégradent de plus en plus. « On va nous réintroduire notre jour de carence. Notre point d'indice est gelé. La CSG va augmenter. » Dans de telles conditions, le repos n'est pas non plus acquis : « On ne peut pas prendre plusieurs jours de congés de suite, ni les prendre comme on le souhaite, alors que le burn out et le stress sont permanents. »

La réforme Hirsch ne passe toujours pas

En effet, le temps et l'organisation du travail à travers la réforme Hirsch de 2015 reviennent souvent dans les propos des manifestants. Pour Christine, infirmière Ibode de 52 ans au CH de Beaumont sur Oise, « ils passent en force pour nous imposer les 12 heures partout avec la réforme du temps de travail ». Le planning est souvent bousculé pour son équipe, même s'il est fait un mois à l'avance, afin d'effectuer des remplacements de dernière minute. Elle mentionne ses collègues infirmières qui naviguent de service en service et ajoute : « On est des pions. Beaucoup sont fortement démotivés. Et les patients sont aussi perturbés par ce turnover permanent, car ils doivent répéter sans cesse leurs maux aux nouveaux personnels. »

Les arrêts de complaisance, ça n'existe pas

Quand on lui demande s'il lui arrive de prendre des arrêts maladie, elle répond par la négative. Concernant la réintroduction du jour de carence, selon elle il n'existe pas d'arrêt de complaisance car un arrêt a une répercussion immédiate sur l'ensemble de l'organisation de travail de l'équipe et donc de l'établissement. Et enfonce le clou : « Quand ils sont vraiment au bout du rouleau, ils n'ont pas d'autre choix que de s'arrêter ! »

« Cela me crève de prendre des jours de repos »

Pierre, technicien de laboratoire dans le groupe nord hospitalier, va dans son sens. « Nous avons subi de plein fouet la réforme du temps de travail. Pour ce qui est du personnel de notre génération, nous avions été soulagés de pouvoir passer dans la tranche horaire du matin. Avec cette réforme, on nous a rebasculés dans la tranche de l'après-midi. » Il ne prend plus ses RTT : « Cela me crève de prendre des journées de repos. Après, je dois travailler comme un dingue pour pouvoir faire tout le travail que le reste de l'équipe n'a évidemment pas le temps de faire. »

PCPR égale favoritisme

Ce qui le dérange plus, c'est le poids de la hiérarchie devenue déterminante dans la montée des échelons. L'évaluation réalisée par le cadre responsable est devenue beaucoup plus prégnante depuis l'instauration du PCPR (protocole parcours professionnels carrières et rémunérations) en 2015. Ce dispositif devait selon lui apporter une amélioration des salaires, qui n'a pas finalement eu lieu. Au contraire, il induit des risques de favoritisme et par là même une évolution de carrières beaucoup plus contrôlée.

Les GHT, « une décision irresponsable »

Une autre réforme, celle des groupements hospitaliers de territoire, apporte également son lot de contestations chez les manifestants. Selon Pascal, secrétaire adjoint de la section FO de l'hôpital Beaujon, « les GHT, c'est 16 000 suppressions de postes et 22 000 suppressions de lits. C'est une décision irresponsable. » Christine partage son avis. Selon elle, dans son GHT (regroupement de sept sites dans le GHT Nord Val d'Oise), l'impact sur le terrain est certain : diminution des personnels, uniformisation des pratiques vers le bas, un seul directeur pour tout le site : « En deux ans, nous avons perdu deux cents salariés sur trois sites pour un total de 1 500 personnels (le GHT entier compte 5 000 personnels) afin de réaliser une économie de 90 000 euros en un an. Autres conséquences négatives, beaucoup de fonctions ont été externalisées comme les ASH, le ménage, la blanchisserie, les petites courses. Sans compter la télémédecine le soir pour la radiologie. »

Licenciements secs

Sur le bitume parisien, les soignants ne sont pas les seuls à manifester. Les cadres et agents se sont joints au mouvement. Illustration avec  Nathalie Marchand, 52 ans, adjointe cadre à l'hôpital de Saint Louis et secrétaire de l'union syndicale départementale de la section santé/médico-social/action sociale de la CGT : « Dans les GHT, il existe désormais toutes sortes d'établissements touchant à la santé, au médico-social et à l'action sociale. En raison d'un manque de rentabilité, beaucoup de personnels dans tous ces secteurs subissent des licenciements secs en masse alors que des plans sociaux devraient proposer des plans de formation ou des incitations à la mobilité. Et c'est un paradoxe car on a de plus en plus besoin de ces métiers avec le vieillissement de la population. »

La conscience professionnelle mise à bas
Selon elle, les directeurs de ces établissements ont déjà annoncé aux délégués syndicaux leur intention de supprimer des primes des conventions collectives, de réviser les grilles de salaires et de modifier les nomenclatures de métiers. A côté de Nathalie Marchant défilaient des salariés de Korian, l'Armée du salut ou d'Emmaus : « Ce sont les mêmes problématiques chez eux : toujours plus de travail, des salaires qui n'augmentent pas et l'impression de malaise après être rentré chez soi que le travail n'a pas été bien fait. » Et en conséquence, la solidarité s'organise aussi sur le terrain, conclut-elle : « Quand les médias parlent de la désunion des syndicats, en fait localement il y a de l'union syndicale partout ! »

 


Source : lequotidiendumedecin.fr