Vu par le Pr Karine Lacombe

Dans la post-pandémie, refonder un hôpital solidaire

Publié le 22/10/2021
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Fin de crise ? En tout cas, c'est presque l'heure du bilan. Occasion, bien sûr, de mesurer des mobilisations inédites, chez les personnels de santé comme chez les administratifs, qui ont permis de soigner les gens. Et déjà les mauvaises habitudes comptables réapparaissent. Quel candidat aura le courage de rompre avec la spirale de la pénurie ? S'il existe, s'il se manifeste, il faudra se ranger derrière lui !

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Dans cette ère quasi post-pandémique, ce que nous a révélé la crise sanitaire dont nous commençons tout juste à sortir, c’est combien notre médecine hospitalière a été capable du meilleur lorsque le pire s’est abattu sur nous. À l’heure de la résilience pour les soignants, les applaudissements ne s’entendent plus, et comme d’autres, je porte un regard ambigu sur notre système de soins…

Quelle approche schizophrénique devons-nous emprunter pour résoudre la quadrature du cercle ? Un cercle vicieux qui chahute notre vécu entre efficience, efficacité et qualité ! Quelles leçons suis-je capable de tirer de la première vague de Covid19 ? Une mobilisation sans faille et sans conditions de tous les professionnels du soin, depuis les techniciens de surface, aides-soignants, infirmiers, en passant par les logisticiens, agents de sécurité, psychologues, assistantes sociales, et sans oublier bien sûr les directeurs d’hôpitaux et les médecins, qui ont laissé de côté les postures politiques, pour faire vivre toute l’offre de soins. Un système hospitalier au bord du précipice, qui n’y est pas tombé, malgré la dimension inédite de la crise.

Après la tempête, chacun se retrouve face à soi-même. La fatigue émotionnelle, les blessures physiques, et les séquelles psychiques prennent toute la place, alors que les blessures anciennes se rappellent à nous. Revoilà le temps où l’hôpital ploie sous le manque de ressources humaines. La désaffection déjà ancienne des infirmières et aides-soignantes, qui s’est effacée un temps devant l’urgence, réapparaît encore plus crûment sous la lumière de la post-crise.

Une vague chassant l’autre, je retiens aussi combien l’argent, qui est arrivé massivement dans le système de soins, a permis les prouesses logistiques attendues sans s’encombrer d’indicateurs technocratiques. Des ouvertures de lits réalisés en un temps record, un déploiement à grande échelle de la télémédecine, sans oublier l’irruption accélérée de l’intelligence artificielle en soutien de notre exercice.

Chassez le naturel, il revient au galop

Après la crise, on fait les comptes sans illusions : chassez le naturel, il revient au galop. L’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) couvre à peine les besoins actuels, dont les revalorisations des carrières paramédicales, obtenues difficilement à coups de grèves et de manifestations. On reporte déjà les rénovations pourtant essentielles de bâtiments hospitaliers vétustes, on joue cyniquement sur l’embauche de personnel remplaçant, en empilant les mois non pourvus. Que dire enfin des structures d’aval sanitaires et sociales, seules capables de désengor Qger un hôpital public qui accueille les plus fragiles ? Le grand âge bien sûr, mais aussi la grande précarité et toutes les détresses sociales.

Fait-on vraiment des économies lorsque la qualité de prise en charge des patients se dégrade ? Que penser du risque de propagation nosocomiale de bactéries multirésistantes, de l’allongement des séjours grevant l’accès rapide aux soins pour tous… Autant d’exemples qui montrent combien on manque de vision à long terme sur l’investissement dans l’hôpital public. Devrions-nous dire, comme dans Le Roi Lear, que « c’est un malheur du temps que les fous guident les aveugles » ? Sommes-nous vraiment condamnés à une incapacité « enkystée » de penser l’hôpital public comme un lieu où dispenser des soins de qualité, enseigner une médecine de pointe et mener de la recherche médicale innovante ? Autant de missions qui justifient, pour moi et beaucoup d’autres, de sortir de la logique comptable qui prévalait avant la crise sanitaire.

S’il est une expérience que la ou le futur(e) président(e) de la République devrait garder à l’esprit, c’est celle qui a prévalu pendant la première vague de Covid-19. La crainte du défaut a révélé la solidarité entre soignants et non soignants, l’écoute des besoins du personnel de terrain, le dimensionnement des finances à hauteur des enjeux médicaux, les investissements pour la médecine de demain.

Si l’une ou l’un des candidats a l’ambition d’incarner l’attente de la population et des soignants dans son projet, alors, sans équivoque, il faudra que l’on se tienne tous ensemble à ses côtés.

Remerciements au Pr Michel Tsimaratos, auteur de «Penser l'hôpital : rendez-vous manqués et raisons d'expérer»
Exergue : Fait-on vraiment des économies lorsque la qualité de prise en charge des patients se dégrade ?

Pr Karine Lacombe

Source : Le Quotidien du médecin