Des cliniciens au secours des postes vacants

Quotidien du Médecin-8840

Publié le 20/10/2010
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SITÔT INSTITUÉ par la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST, votée en juillet 2009), le statut de « clinicien » (terminologie inscrite dans la loi mais que ne reprend pas la réglementation), destiné entre autres à lutter contre le coûteux mercenariat médical, avait été qualifié de « CDD hospitalier ». Création sensible à plusieurs égards – les médecins y contractent sans filtre avec le directeur, ils ont des objectifs d’activité, une part salariale variable… –, ce nouveau statut aura attendu près de quinze mois pour voir le jour, le 16 octobre, au détour du « Journal officiel ».

Au final, il est réservé aux postes « présentant une difficulté particulière à être pourvus » : l’agence régionale de santé (ARS) délivre ce label que l’on imagine pour partie lié à la liste des postes vacants à l’hôpital (22,3 % des postes temps plein, 37,2 % des temps partiels).

Le nouveau statut se revêt, comme prévu initialement, par la signature d’un contrat entre le médecin et le directeur de l’hôpital (sur proposition du chef de pôle). Les praticiens hospitaliers (PH), détachés pour l’occasion, peuvent y prétendre. Il ne peut être cumulé avec une activité libérale à l’intérieur de l’hôpital. La « période d’embauche » des cliniciens court sur trois ans au plus ; elle est renouvelable une seule fois.

Les cliniciens s’engagent sur des « objectifs quantitatifs et qualitatifs ». Les atteindre ou non conditionne le niveau de la part variable de leur rémunération – leur salaire, au total (part fixe + part variable), « ne peut excéder le montant correspondant au dernier échelon de la grille (des PH) majoré de 65 % », ce qui correspond à une rémunération brute mensuelle plafond de 12 000 euros. Une somme qui peut être comparée à celles qu’empochent certains médecins-mercenaires pour une journée de travail (au-delà de 1 000 euros). Dans le détail, la part fixe comme la part variable du salaire des cliniciens leur sont versées chaque mois mais la seconde l’est sous forme d’« acompte » : s’il s’avère en fin d’année que le praticien n’a pas rempli ses objectifs, il devra rembourser le « trop perçu ». Pire, si le bilan de ses résultats « s’avère notoirement insuffisant », le directeur pourra mettre « fin au contrat sans indemnité, ni préavis, après avis du président de la CME ».

• Les PH n’y croient pas.

Qu’ils soient au départ favorables ou hostiles au principe du CDD hospitalier, les syndicats de praticiens hospitaliers ne sont pas convaincus par la formule finalement retenue. Président de la Coordination médicale hospitalière (CMH), le Dr François Aubart a en 2009 contribué à dessiner les contours de ce nouveau statut dans un rapport cosigné avec le député UMP Élie Aboud et les Drs Jacob et Mangola. Il ne reconnaît pas son bébé : « L’idée était d’injecter dans la carrière des éléments qui puissent la dynamiser, la rendre attractive, et de personnaliser l’exercice. On se retrouve avec un produit dérivé du statut contractuel, résultat d’une indéniable médiocrité d’objectifs. » Évoquant son « immense déception », le Dr Aubart estime que le nouveau statut n’introduit « aucun changement fondamental » à l’hôpital ; il y voit même une « chausse-trappe [poussant] une fois de plus vers le secteur privé les meilleurs chefs de clinique ». Le Dr Pierre Faraggi, président de la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH), n’est pas plus tendre. « Ce statut vise, accuse-t-il, à régulariser des situations de mercenariat. Mais il le fait en instituant des contingences supérieures (en termes de PDS, en écartant les cliniciens de la RTT…) et, de surcroît, avec une protection sociale complètement nulle. Ça n’est pas un statut d’attractivité pour l’hôpital public. Le législateur manque son coup. » Fustigeant pour sa part « un statut bâtard », « une mauvaise réponse à un vrai problème », le Dr Rachel Bocher, qui préside l’Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH), se pose une question pratique – « Que va-t-on faire des gens au bout de 6 ans ? » – et salue « une bonne nouvelle » à la lecture du « J. O. » : « Le travail que nous faisons vaut 65 % de plus que ce qui nous est payé actuellement ! »

• Les directeurs disent « banco ».

Autre son de cloche du côté des directeurs d’hôpital. À la tête du Syndicat national des cadres et directeurs hospitaliers (SNCH), Philippe Blua n’est plus à convaincre. « Ce contrat, explique-t-il, est une opportunité et je pense que les directeurs vont s’en saisir. Moi-même, sur mon établissement où je rencontre d’énormes difficultés de recrutement dans certaines spécialités, je vais rapidement m’interroger avec mon directoire sur le fait de nous lancer dans l’opération. » Deux petites ombres au tableau aux yeux de Philippe Blua : l’indispensable feu vert des ARS qui ne doit pas restreindre à son sens « la marge de manœuvre des établissements » ; et la limitation aux seuls cliniciens de la corrélation entre rémunération et activité. « Ce système a une vraie vertu quand il permet de tenir compte de l’activité [pour payer le clinicien, NDLR]. À l’hôpital, le médecin est bien le moteur de l’activité et nous aurions bien vu un tel intéressement pour l’ensemble des praticiens. Cela aurait été dans la logique des choses avec la T2A [tarification à l’activité] .» Pour soutenir son point de vue, le président du SNCH a un argument choc : « Après tout, il existe déjà à l’hôpital un système d’intéressement à l’activité qui s’appelle le secteur privé. » D’expérience – « Quand nous faisons des recrutements médicaux, une bonne partie de la discussion tourne autour de la question du salaire » –, Philippe Blua est persuadé que de nombreux médecins, « s’ils avaient une rémunération pour leur activité publique, la privilégieraient sur un secteur privé ».

 KARINE PIGANEAU

Source : Le Quotidien du Médecin: 8840