Cliniques privées, hôpitaux publics : chaque secteur défend pied à pied son terrain dans une période délicate sur le plan des ressources humaines. Campagne tarifaire 2023, plafonnement de l'intérim médical, solidarité territoriale : après l'entretien choc mercredi au « Quotidien » de Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), la déléguée générale de la Fédération hospitalière de France (FHF), Zaynab Riet, riposte dans nos colonnes. Elle accuse certaines cliniques de ne pas jouer le jeu du plafonnement de l'intérim en pratiquant déjà des tarifs « au-delà de 2 000 euros ».
LE QUOTIDIEN : Le président de la FHP, Lamine Gharbi, affirme que les hausses tarifaires 2023 décidées par le gouvernement sont inéquitables entre les cliniques (+5,4 %) et les hôpitaux (+7,1 %). Que répondez-vous ?
ZAYNAB RIET : C'est faux de dire que cette campagne tarifaire est inéquitable en faveur du public. Pour rappel déjà, lors de la campagne budgétaire 2022, les hôpitaux publics étaient en sous-exécution et les cliniques privées en sur-exécution de l'enveloppe prévue pour elles. Ce ne sont pas les chiffres de la FHF, mais ceux du ministère ! C'est pour cette raison que le dégel tarifaire n’a été accordé que pour moitié au secteur privé, parce que les cliniques ont dépassé l’enveloppe qui leur avait été attribuée.
Concernant la campagne 2023, les tarifs MCO – hors mesures nouvelles – évoluent de la même façon pour tous : c'est +0,7 % de tarifs qui reposent sur une cible en volume équivalente pour tous les acteurs. Et cela pénalise justement le public qui a été plus impacté que le privé par la crise sanitaire et les multiples épidémies. Je rappelle que 86 % des patients ont été hospitalisés dans le public durant les différentes vagues. Les épidémies – Covid, grippe, bronchiolite – ont embolisé les soins non programmés, si bien que les hôpitaux ont davantage de difficulté à relancer leur activité programmée.
Enfin, sur le plan technique, les tarifs, avec les mesures dites « nouvelles », évoluent un peu plus dans le public que dans le privé. Et c’est très logique puisque les périmètres de financement ne sont pas les mêmes, notamment les personnels médicaux qui sont rémunérés directement par l’hôpital dans le public. Il y a aussi un effet de neutralisation des allégements fiscaux dont ne bénéficie pas le secteur public, contrairement au secteur privé. Conséquence : les tarifs sont « facialement » différenciés. Cela explique donc pourquoi les évolutions dans le public sont supérieures à ceux du secteur privé.
Comprenez-vous Lamine Gharbi, patron de la FHP, quand il affirme être pénalisé ?
Je ne suis pas là pour juger les états d’âme du président de la FHP. Je peux juste dire que l’ensemble du secteur hospitalier est en difficulté, du fait de l’inflation. Mais, que l’on puisse imaginer que le secteur public est en déficit parce qu’il est un mauvais élève revient à nier ce qu’a fait l’hôpital public durant ces trois années !
La FHP réclame un Ondam rectificatif. Réclamez-vous aussi une rallonge budgétaire pour 2023 ?
Oui, il faudra très probablement, et même inévitablement, ajuster l’Ondam [objectif national de dépenses maladie] en cours d’année, avec un PLFSS rectificatif. L’idée, c’est d'intégrer les effets réels de l’inflation. La loi Sécu initiale a été calculée sur une base d’inflation de 2,5 % alors que celle-ci se situe actuellement autour de 6 %. C'est environ un milliard d'euros de surcoûts tous secteurs confondus – public et privé.
Le président de FHP affirme que les hôpitaux publics font moins d’activité et sont plus déficitaires…
La réalité, c'est que le public, qui assure l'essentiel de la prise en charge de la crise sanitaire, fait malheureusement moins d’activité programmée depuis trois ans. La FHF a alerté sur le déficit des hôpitaux. Encore une fois, c’est lié au fait qu’un certain nombre de mesures n’ont pas été compensées à ce stade. Je pense à l'inflation mais aussi à l’effet de certaines mesures Ségur en année pleine. À l’inverse, les cliniques, beaucoup moins impactées par les épidémies, ont pu développer leur activité programmée qui procure des recettes. Leur mode de fonctionnement n’a donc pas été déstabilisé.
Quel bilan tirez-vous des premiers jours du plafonnement strict des tarifs de l’intérim ? Craignez-vous de fortes tensions avec les week-ends fériés et l'été ?
Les établissements mais aussi les ARS se sont très fortement mobilisés pour anticiper les difficultés. Certains points de tension ont été très vite identifiés et des mesures territoriales ont été prises. Par exemple, la maternité de Sarlat (Dordogne) ferme durant deux semaines. Tous les acteurs du territoire – ARS, élus, hôpitaux du GHT et parturientes – se sont coordonnés pour trouver des solutions. Des coopérations ont été mises en place avec les hôpitaux de Périgueux, Brive et Bergerac. Sur un plan général, il y aura forcément des fermetures ponctuelles et temporaires mais partout les ARS et les établissements essayent de garantir la continuité des soins. C’est la raison pour laquelle nous avons absolument besoin du soutien des acteurs privés sur les territoires.
Justement, le privé est-il vraiment solidaire ?
Nous arrivons à l'épreuve de vérité. C'est vrai que seul l’hôpital public est concerné par la loi Rist. Le privé peut pratiquer les tarifs qu’il veut, ce qui peut constituer une concurrence déloyale. Pour autant, toutes les fédérations hospitalières ont signé une « charte d’engagement » visant à combattre les dérives tarifaires et à assurer la bonne application de la loi Rist. Elles se sont engagées à appliquer les mêmes tarifs pour les remplacements, à participer à la permanence des soins et la continuité des soins dans le cadre d'équipes mutualisées, en cas de difficultés sur un territoire.
Or, je constate que la FHP revient déjà sur cet engagement. D’ores et déjà, nous savons qu’il y a des cliniques qui pratiquent des tarifs de remplacement au-delà de 2 000 euros la garde, par exemple en Nouvelle Aquitaine, donc bien au-delà de ce qui est toléré [1 390 euros bruts maximum pour 24 heures de travail, NDLR]. Ces cliniques ne jouent pas le jeu de la régulation de l’intérim !
Ce n’est pas en pratiquant des tarifs prohibitifs que l’on va redonner du sens à l’exercice médical, que ce soit à l'hôpital ou en clinique. Il faut favoriser un engagement durable des praticiens à l’hôpital, d’où l’importance de mieux rémunérer les PH et des négociations qui vont s'ouvrir. Maîtriser la surenchère tarifaire permettra d'éviter les tensions sur les effectifs. Nous avons tous, collectivement, intérêt à appliquer les mêmes tarifs plafond et à nous coordonner dans les plans de continuité.
Les dérives tarifaires constatées concernent-elles principalement le service public, comme l’affirme Lamine Gharbi ?
Non, le secteur privé connaît également des difficultés sur le plan médical depuis trois ans. Il est fortement concerné aussi par l’intérim médical. J’en veux pour preuve et je le répète : certaines cliniques appliquent des tarifs au-delà de 2 000 euros, et il en existe sur tous les territoires.
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