Le directeur du CH Moulins-Yzeure fait un poisson d’avril

Une arête se coince dans la gorge des médecins étrangers

Publié le 28/04/2011
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AU DÉPART, c’est un gentil canular, « une blague de carabin », commente, un brin penaud, son auteur, Pierre Thépot. En guise de « poisson », le directeur du centre hospitalier Moulins-Yzeure, dans l’Allier, a fait une boulette en envoyant le 1er avril à tous les services de son hôpital une « note d’information » un peu spéciale. Truffé de jargon technico-administratif, ce courrier parodique annonce aux personnels et aux médecins que leur établissement vient d’être sélectionné pour expérimenter le recours au flair canin dans le dépistage des cancers prostatiques (« le Quotidien » du 31 janvier).

Au fil de cette note-gag, les concepts de performance hospitalière, de développement durable, de télémédecine ou de participation aux économies de l’assurance-maladie font leur apparition. Et le directeur précise que « ce nouveau mode de dépistage s’inscrit également en droite ligne de la réorganisation de l’offre de soins sur le bassin moulinois, dans la perspective aussi de la réorganisation de la biologie bourbonnaise ».

À mi-parcours, la plume de Pierre Thépot prend un tour complètement farfelu, désignant nommément ceux qui, « compte tenu de la proximité de leurs logements respectifs » avec le futur chenil, seront « d’astreinte nocturne » pour s’occuper des chiens, ou bien celui qui transportera chaque matin un animal à l’hôpital « grâce à un vélo spécialement équipé », annonçant que le self de l’hôpital « va être aménagé pour permettre aux chiens de venir s’y restaurer le midi ». L’auteur de la note ne s’épargne pas : il se chargera le week-end de « l’entraînement sportif des chiens » dans son jardin de fonction…

Mais au détour de son doux délire, le directeur est tombé sur un os. Dans sa note, il imagine que, puisqu’il s’agira d’« auxiliaires médicaux aux compétences rares », les chiens renifleurs de son hôpital « viendront de l’étranger » ; il demande à la personne chargée de leur recrutement de veiller « à ce qu’ils soient nés avant le 10 juin 2004 » – qui rappelle la date couperet de régularisation des médecins étrangers. En interne, ce passage a fait quelques vagues. Tout embêté, le directeur s’est empressé de présenter ses excuses aux personnes qu’il aurait pu froisser. Il explique au « Quotidien » comprendre « avec le recul que des gens aient pu se sentir offensés ». « Je ne pensais pas à mal », se défend-il, désolé que sa blague ait pu être mal interprétée. « L’humour, s’il devient blessant, n’est pas du bon humour. On ne m’y reprendra plus », assure-t-il.

Ce mea culpa suffira-t-il à calmer la colère de l’Intersyndicat national des praticiens diplômés hors de l’Union européenne (INPADHUE) ? Dans un communiqué, l’organisation goûte à ce point peu la plaisanterie qu’elle demande au ministre de la Santé d’« ouvrir une enquête immédiate » et « de prendre les mesures appropriées à la hauteur du préjudice causé par (des) allégations indécentes émanant d’un haut fonctionnaire de l’État ». Loin de se gondoler, l’INPADHUE déplore que les médecins à diplôme étranger restent « réduits à un esclavage moderne » et « considérés par certains comme une main-d’œuvre qualifiée et pas chère ».

 KARINE PIGANEAU

Source : Le Quotidien du Médecin: 8951