Pour devenir médecin à tout prix

Des étudiants français s’exilent en Roumanie

Publié le 25/01/2010
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Crédit photo : S TOUBON

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Crédit photo : S TOUBON

DE NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX À CLUJ

QUATRIÈME ÉTAGE de la bibliothèque. Plusieurs étudiants sont plongés dans leurs traités d’anatomie. Au milieu des ouvrages en roumain traînent quelques manuels en langue française. L’Université de Cluj a ouvert en 2000 une filière francophone en médecine, en pharmacie et en chirurgie dentaire. Fréquentée essentiellement à ses débuts par des étudiants de Tunisie et du Maroc, la filière francophone est aujourd’hui composée pour moitié d’étudiants français. Salim lève la tête de ses cours. L’étudiant, originaire de Vierzon, est en 2e année. « J’ai connu la fac par le bouche à oreille, explique-t-il. Il y a deux ans, nous sommes venus visiter la ville avec un ami dont le père est médecin. J’ai vu la fac, la bibliothèque, j’ai discuté avec les étudiants. J’ai tout de suite accroché. » Après une première année ratée en France, le jeune homme veut à tout prix réussir ses études. « L’avantage ici, c’est qu’il n’y a pas de concours. Pour passer en année supérieure, il faut la moyenne : 5 sur 10 .» Depuis qu’il est là, Salim s’est fait son opinion sur l’enseignement dispensé. « La formation est plus pratique qu’en France, indique-t-il. Les étudiants ont en effet des cours et des travaux pratiques d’anatomie dès la première année. On voit des cœurs, des poumons, le cerveau. Pour assimiler, c’est plus simple. »

Dans le bâtiment voisin, une vingtaine d’étudiants suivent le TP d’anatomie. Au centre de la salle, un cadavre. Dans les mains du professeur, un cœur. Yacine, originaire de Reims, vante les conditions d’apprentissage. « La majorité d’entre nous a fait deux P1 avec des promotions de 1 000 candidats, dit-il. Ici, on est beaucoup moins nombreux et j’ai l’impression de mieux comprendre le cours. » À ses côtés, Lylia confirme la proximité avec les professeurs : « On peut discuter facilement avec eux, ils prennent du temps pour nous. »« Je voulais faire médecine à tout prix, poursuit-elle. Ceux qui sont ici ont vraiment la vocation. » La jeune femme sait de quoi elle parle. Après deux années de sage-femme et un reportage télévisé, l’étudiante a tout plaqué.

« Ces étudiants ont essayé d’étudier en France, ils sont motivés et sérieux », commente le Pr  Andrea Seceleanu, qui souligne leurs bons résultats. Pour sûr. Pas un étudiant français n’a été recalé en médecine l’an dernier.

Business or not business ?

Faire ses études de médecine en Roumanie : il faut y penser, avoir la vocation… et les moyens. Depuis cette année, les étudiants paient 5 000 euros par an et 250 euros de frais de dossier. Les anciens paient un peu moins cher. « Avant, c’était 360 dollars », nous confie l’un d’eux. Le tarif des inscriptions a augmenté autant que le nombre d’inscrits. Et même si le coût de la vie est loin d’être excessif en Roumanie, les étudiants étrangers ont un traitement spécial. Ils paient un loyer bien plus élevé que les autochtones : 250 euros par mois pour un studio près de la fac pour l’un, 700 euros en colocation pour un 120 m2 pour l’autre. « Nous payons beaucoup plus cher que les Roumains, c’est comme ça, commente une jeune Marocaine. Ici, il y a un petit business avec les étudiants francophones. »

Business ? Le Pr Constantin Ciuce, recteur de l’Université de Cluj, n’aime pas ce mot. Et il défend quiconque de dire que son université profite de la demande étrangère. « Notre gouvernement budgète un nombre de places que nous partageons entre les disciplines, dit-il en français . Les étudiants étrangers qui ne passent pas le concours d’entrée doivent payer une taxe. Nous essayons de mettre les étudiants français dans de bonnes conditions d’apprentissage. » Et le recteur de vanter les 60 ordinateurs équipés d’Internet de la nouvelle bibliothèque universitaire, l’accès à plus de 15 000 journaux on line… « Seulement 8 % à 10 % du budget de l’université viennent des inscriptions des étudiants francophones », assure le recteur.

D’autant, poursuit-il, que le nombre de Français à avoir fait le déplacement à Cluj « est limité pour assurer une bonne qualité de la formation ». Constantin Ciuce nous présente un tableau. « Cette année, nous avons ouvert pour la filière francophone 80 places en médecine, 50 en médecine dentaire et 100 pour la pharmacie. » Problème. Renseignement pris auprès d’enseignants responsables des trois filières, ils sont exactement 208 en médecine, 90 en médecine dentaire et un peu moins de 100 en pharmacie. Curieux décalage des statistiques…

Des étudiants bien implantés.

Si ce n’est l’intérêt financier, comment expliquer l’engouement de l’université de Cluj pour la formation des médecins étrangers ? Constantin Ciuce nous fait part d’une ambition : « Peut-être une partie d’entre eux s’installeront-ils en Roumanie et deviendront professeurs dans la filière francophone de la faculté puisque c’est leur langue maternelle. »

Les étudiants français n’ont que deux heures par semaine d’apprentissage de la langue roumaine. Ils devront pourtant suivre les cours en roumain à partir de la 4e année pour pouvoir s’entretenir avec les patient. Ils semblent en tout cas s’intégrer progressivement comme Matthieu, 30 ans, venu de Nice. Après deux échecs en PCEM1, il a travaillé pendant 6 ans avant de reprendre un cursus en médecine dentaire à Cluj où il est en 2e année. « Nous allons créer un bureau des étudiants (BDE), affirme-t-il, mettre en place un tutorat, nous voulons nous impliquer dans la vie de la faculté. »

La filière francophone de médecine en Roumanie est très controversée en France. Matthieu en est conscient. « Je comprends ces réactions, commente-t-il. Ceux qui réussissent voient d’un mauvais œil qu’on parte se former ailleurs. Mais j’ai travaillé et la sanction du concours de PCEM1 est trop grosse : éliminé à vie de médecine après deux échecs. » Iona est en 3e année de médecine dans la filière roumaine. Elle est une amie de Matthieu mais dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : « Les étudiants français ont de meilleurs résultats que nous parce que les professeurs sont plus conciliants avec eux et peut-être parce qu’ils paient plus. » Puis elle ajoute dans un sourire : « Ca ne me dérange pas car je sais que la majorité des Français va retourner en France et qu’ils ne vont pas prendre notre place ». « Il y a un peu de rancœur, c’est normal, répond Matthieu. Les Français ont plus de 10 sur 10 mais ce n’est pas parce qu’ils paient, c’est parce qu’ils ont un meilleur bagage avec leurs deux PCEM1 ».

La faculté de Cluj, aujourd’hui bien connue des étudiants français, s’attend à recevoir encore davantage de candidatures à la prochaine rentrée universitaire. Le recteur assure que leur nombre restera identique. Ils seront donc officiellement 80, officieusement 208.

 CHRISTOPHE GATTUSO

Source : Le Quotidien du Médecin: 8694