Souvenir de carabin

Mon premier coma hypoglycémique

Publié le 28/12/2018
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Crédit photo : Phanie

Neuf heures du matin. Très peu dormi parce que cette nuit on célébrait l’entrée dans la nouvelle année, une grande nuit de fête… sauf pour l’interne de garde.

Arrive l’ambulance des pompiers avec un homme en coma profond découvert au petit matin sur une pelouse. Un gendarme fait partie de l’équipe des sauveteurs… au cas où. Il ne nous lâchera plus.

Un homme jeune, vêtements et chaussures souillés de plaques de boue craquelée, flasque, sans réaction ni à la lumière ni à la douleur, tension imprenable. L’infirmière procède au déshabillage : veste, chemise, chaussures… Pour le pantalon, elle a sa technique : une main au bas de chaque jambe, elle tire de toutes ses forces : « Comme d’habitude, ils mettent des tenues de sortie, mais ils oublient de changer de slip ! »

Aucune trace de violences. Ce coma est comme un sommeil, mais un sommeil qui peut devenir éternel… Examen selon un schéma bien rodé : inspection, palpation… Je parcours le corps dénudé des mains et des yeux sans rien remarquer d’anormal ; jusqu’à l’instant où mes narines se trouvent au-dessus de la bouche entrouverte d’où sort un faible souffle.

« Passez-moi une seringue de vingt et une ampoule de glucosé hypertonique ! »

Vite une veine de l’avant-bras (à cette époque, on n’arrivait pas avec une perfusion) où je pousse aussitôt le liquide épais comme un sirop. Et voilà qu’à peine les premiers centimètres cubes passés dans son sang, le malade commence à donner des signes de vie : paupières et lèvres qui s’ouvrent, membres qui s’agitent, puis corps qui veut se redresser et qu’il faut maintenir.

Avant même que la seringue ne soit vide, le jeune homme parfaitement conscient manifeste son indignation à se trouver là. Il peut juste expliquer qu’il a passé sa soirée à boire avant de s’agiter pendant des heures dans un dancing à la limite de ses forces... Après, il ne se souvient plus. Et pour cause, son organisme a dû puiser dans ses réserves en brûlant graisses et muscles, l’inondant d’une chimie toxique qui l’a terrassé et… donné à son haleine cette odeur fruitée si caractéristique… une odeur d’acétone !

Les pompiers savent, eux, ce qu’est un coma hypoglycémique, mais pas le gendarme qui n’arrive pas à s’éloigner. Quand enfin il le fait, c’est à reculons et avec force courbettes. Au moment de franchir la porte, son « Au revoir, Monsieur l’Interne ! », pathétique, est celui d’un homme touché par la grâce qui a vu, de ses yeux vu, s’accomplir un miracle !

Yves Kerempichon, généraliste, Lorient

Source : lequotidiendumedecin.fr