À Auschwitz, les étudiants en santé deviennent les témoins de demain

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Publié le 04/04/2019
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AUSCHWITZ

AUSCHWITZ
Crédit photo : Sophie Martos

« Ceux qui ne peuvent se rappeler le passé sont condamnés à le répéter. » Cette citation de l'écrivain George Santayana littéralement vissée aux murs de l'un des blocks d'Auschwitz I en Pologne résume bien l'objectif du Voyage de la Mémoire.

Ce 24 mars, une quarantaine d'étudiants en santé ont été conviés par l'Association des médecins israélites de France (AMIF) à Auschwitz, symbole de la Shoah, pour se souvenir. Au programme, 12 km de marche dans les deux camps d'extermination au rythme d'une météo changeante, tantôt clémente, tantôt impitoyable. 

Pour ce voyage, le Dr Élie Buzyn, déporté et chirurgien orthopédique les accompagne pour livrer son récit et passer le flambeau aux futurs soignants. Ce devoir de mémoire est un impératif absolu pour l'AMIF. Elle veut faire comprendre l'importance de rester vigilant face à toute idéologisation de la médecine, qui peut, au nom de certaines idéologies, s'égarer. À l’époque, 45 à 70 % des praticiens ont épousé le régime nazi, s'affranchissant de tous les principes de l'éthique. « Il faut tirer les enseignements des pages les plus noires de l'histoire. L'éthique n'est pas dissociable de la pratique médicale. Ce voyage, tous devraient le faire, souffle le Dr Bruno Halioua, président de la structure. Nous devons être les témoins des témoins ».

Dès l'arrivée, les jeunes marchent dans les pas d'un déporté. Ils empruntent sur près d'un kilomètre le chemin de la mort en longeant les rails menant jusqu'à l'entrée du site marécageux d'Auschwitz II - Birkenau. Les apparences sont trompeuses. Les oiseaux chantent et les abords du camp regorgent d'espaces verts, de points d'eau, de bouleaux. Quelques maisonnettes ponctuent la route. Impossible de s'imaginer que plus d'un million de juifs ont été sauvagement assassinés en ces lieux. L'immensité trouble également. 175 hectares, l'équivalent de 350 terrains de foot. Au cœur du site, la première image que l'on emporte est celle de la JudenRamp, la rampe de la sélection. Une trentaine de baraquements sont encore visibles. 16 km de barbelés délimitent cet ancienne zone de non-droit. Le temps semble à jamais figé.

Médecins SS, un rôle pivot

Sur les quais, l'atmosphère est lourde. L'angoisse se lit sur les visages fermés. Tous découvrent en détail les abominations commises par les nazis mais surtout par les médecins SS au rôle pivot dans cette usine de la mort. Ils procédaient à la sélection des déportés et en envoyaient plus de 80 % directement dans les chambres à gaz. « C'était le grand subterfuge médical. Ils mettaient en confiance les déportés en garant des ambulances factices juste à côté » des convois ferroviaires, explique le Dr Halioua. Chez les jeunes, c'est l'effarement. « Je ne m'attendais pas à ce que ce soit si organisé. Le médecin est censé être la figure de bienveillance. Ils ont planifié l'horreur », condamne Clara, étudiante en 4e année de médecine à Paris.

Un peu plus loin dans le camp, au bout des rails, on aperçoit à deux pas des fours les restes de « l'hôpital », théâtre d'atrocités dont des avortements forcés, des assassinats de nouveau-nés, des expériences de stérilisation ou des tests sur les jumeaux... Le détail des expérimentations choque par leur violence. L'émotion est à son comble. « On ne se rendait pas compte de la part importante des "travaux" scientifiques dans ces camps. Je ne comprends pas comment on a pu faire ça. Et c'est dérangeant de se dire que ça peut servir aujourd'hui en médecine », réagissent Deborah et Manuela, étudiantes sage-femmes. Du haut de ses 90 ans, toujours vif et disert, le Dr Élie Buzyn témoigne : « Josef Mengele, le médecin SS, était l'une des personnes les plus puissantes du camp. Il déterminait le nombre de personnes à mettre dans la chambre à gaz ».

Plus d'éthique à la fac

À 2,6 km de Birkenau, à Auschwitz I, le block 10 un bâtiment rectangulaire aux briques rouges abrite en ses murs des souvenirs abjects. Deux praticiens y ont développé la colposcopie pour étudier les lésions précancéreuses du col utérin chez les déportées. « Devant ce bâtiment où il y a eu les pires des mutilations on peut entendre les cris fantômes des femmes, ressent Samuel, interne en médecine générale. Il faut faire attention en tant que médecin. Il faut s'imprégner de l'éthique lors des cours. Nous sommes plus sensibilisés mais parfois ça peut être flou et on peut oublier ».

Pour l'AMIF, le devoir de mémoire devrait s'étendre sur les bancs de la faculté. « Il n'y a pas assez d'enseignements éthiques. C'est important. Peut-être qu'on aurait pu éviter le relent antisémite dans les facs de médecine récemment »

Sophie Martos

Source : Le Quotidien du médecin: 9738