Sécurité sanitaire

L’ANSM saisit à nouveau la justice contre l’IHU pour de « graves manquements » lors d'essais cliniques

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Publié le 28/04/2022
L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a livré dans un communiqué les conclusions d'une enquête menée fin 2021 sur les essais cliniques pratiqués au sein de l'IHU de Marseille. Elle souligne « de graves manquements » et annonce saisir la justice.

C’est une charge sans précédent qu’a livrée ce mercredi l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) contre l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille dirigé par le Pr Didier Raoult. Dans un communiqué, l’ANSM publie les conclusions d’une enquête menée fin 2021. L'IHU de Marseille a été le cadre « de graves manquements et non-conformités à la réglementation des recherches impliquant la personne humaine », résume l’Agence.

Le réquisitoire de l'ANSM, qui confirme largement des révélations de L'Express et Mediapart, ne concerne pas le Covid et remonte bien avant. L'autorité accuse l'IHU de s'être affranchi pendant des années de multiples règles pour mener des recherches sur des patients.

« Les règles éthiques n'ont pas été systématiquement respectées, ne permettant pas d'assurer la protection des personnes à un niveau suffisant », indique l'ANSM dans son communiqué, qui accompagne un rapport plus détaillé.

À de multiples reprises, des essais ont ainsi été engagés sans obtenir l'avis obligatoire d'un comité indépendant ni, parfois, le consentement de tous les patients examinés.

C'est par exemple le cas de prélèvements rectaux réalisés au début des années 2010 sur des enfants atteints de gastro-entérite. Pour des dizaines d'entre eux, le consentement des parents est absent.

Une charge supplémentaire de faux document

En conséquence, l'ANSM annonce deux actions. L'une, menée par ses propres soins, consiste à demander l'interruption des essais entamés irrégulièrement et imposer « des actions correctives et préventives » pour remettre en bon ordre les recherches à l’IHU. Ces mesures ne seront pas immédiates, puisque l'ANSM doit passer par une procédure contradictoire avec l'IHU ainsi que l'AP-HM, dont la responsabilité est aussi mise en cause.

Dans le cadre de la seconde action, l'ANSM annonce saisir la justice, ce qu'elle avait déjà fait à l'automne lors de la publication de l'enquête de Mediapart. Comme à l'époque, elle accuse l'IHU d'avoir mené des essais irréguliers, mais elle y ajoute une autre charge : lui avoir communiqué un faux document pour justifier le lancement d'une des recherches incriminées.

Pas compétente pour intervenir sur la tuberculose

En revanche, les autorités sanitaires attendent d'en savoir plus sur le volet le plus spectaculaire des accusations contre l'IHU : depuis des années, ses équipes expérimentent des traitements censés lutter contre la tuberculose malgré leur absence d’efficacité. Alors que les autres manquements sont essentiellement déontologiques, ces pratiques ont eu des conséquences dramatiques. Chez nombre de patients tuberculeux, des effets secondaires graves ont été enregistrés, allant dans un cas jusqu'à imposer une opération chirurgicale. Mais l'ANSM estime qu'elles ne constituaient pas en tant que telles un essai clinique et ne se considère pas en mesure d'intervenir directement sur le sujet car il dépasse son domaine de compétences d'autorité réglementaire.

L'AP-HM a affirmé, dans un communiqué, mettre en œuvre « l'ensemble des recommandations à effet immédiat », dont la suspension des recherches réalisées sans avis d'un comité, et se tenir « à disposition de l'ANSM et de la justice pour toutes les enquêtes ultérieures ». Le ministère de la Santé n'a pas souhaité faire de commentaire, tout comme l'Ordre des médecins, qui a dit vouloir « prendre pleinement connaissance du rapport ». Une autre enquête est menée par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la façon dont est géré l’IHU.

Le Pr Raoult dirige encore l'IHU pour quelques mois. Suite à des positions, aujourd'hui discréditées, sur le Covid-19, il est poussé vers la sortie par son autorité de tutelle, les hôpitaux de Marseille (AP-HM), et blâmé par l'Ordre des médecins.

(Avec AFP)


Source : lequotidiendumedecin.fr