Quand l'hôpital public se projette en ville 

Consultations avancées de médecine générale : la nouvelle pierre dans le jardin des libéraux

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Publié le 30/01/2017
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Permettre aux professionnels hospitaliers et salariés d'aller exercer la médecine courante dans des territoires fragiles : c'est une mesure issue du pacte territoire-santé de 2012 pour lutter contre les déserts médicaux qui jette aujourd'hui le trouble, et ravive les tensions entre la ville et l'hôpital.  

Depuis quelques semaines en effet, plusieurs cas de mise à disposition de praticiens salariés pour des consultations avancées de médecine générale ont soulevé de vives critiques parmi les libéraux.    

Dans l'argumentaire de Marisol Touraine, ce dispositif se présente comme un « appui » aux structures ambulatoires implantées dans des communes isolées. Il s'agit aussi de répondre aux demandes d'« un certain nombre de médecins salariés de centres de santé, d'hôpitaux et de centres mutualistes […] prêts à diversifier leur activité pour exercer une partie de leur temps dans des zones démédicalisées ». Cela se traduit sur le terrain par la signature d'une convention entre les parties prenantes et les tutelles locales (caisses primaires, agences régionales de santé).

Dispositif expérimental

Depuis le 10 janvier, les habitants de Grigny (Essonne) ont accès trois jours par semaine à une consultation de premier recours assurée (dans un bâtiment communal) par un médecin du centre hospitalier Sud Francilien (CHSF). L'expérimentation doit durer au moins deux ans.

À Louvroil (Nord) cette fois, un ou deux praticiens de l'hôpital de Maubeuge devraient s'installer dans un logement de fonction inhabité d'une école primaire dans les prochaines semaines, également pour des consultations généralistes.

De son côté, l'hôpital de Pontivy (Morbihan) va ouvrir une consultation temporaire dans le nouveau centre de santé municipal de Mûr-de-Bretagne (Côtes-d’Armor), en attendant que ce dernier ait les reins suffisamment solides pour porter le projet et salarier lui-même un médecin. La mairie d'Arzano (Finistère) recherche aussi un généraliste pour son centre. L'hôpital de Quimperlé a proposé de mettre à disposition un praticien à temps partiel. Chou blanc faute de candidat pour l'instant…

Le ministère de la Santé fait également état de consultations expérimentales assumées par des généralistes salariés dans le cadre de centres de santé hospitaliers à la fondation ophtalmologique Rothschild et à Houdan (Yvelines). 

Annexion de la ville ?

Assiste-t-on à l'effacement des frontières entre la ville et l'hôpital ? Des coups de gomme sont en tout cas visibles ici et là. La Fédération hospitalière de France (FHF) vient de créer un poste de directeur de projet « chargé de la proximité, de l'accessibilité des soins et de l'ouverture de l'hôpital sur la ville ». Son rôle sera justement de « contribuer à construire les positions [de la FHF] dans le domaine de l'organisation de la réponse en matière de soins primaires, d'identifier et de soutenir les formules innovantes d'ouverture de l'hôpital sur ses partenaires de la médecine de ville ». En clair : rapprocher l'hôpital public des médecins libéraux, des hôpitaux de proximité, des maisons et des centres de santé. L'ouverture sur la ville tient aussi bonne place dans le projet médical de la puissante Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Ces initiatives très hospitalières ont provoqué l'ire d'une partie des syndicats de médecins libéraux, qui dénoncent une forme d'annexion. La CSMF et sa branche généraliste soulignent l'« absence de concertation » et une prise en charge « au coût pharaonique pour la collectivité ». La FMF y voit carrément une volonté du ministère de « créer des centres de santé peuplés de médecins hospitaliers »

Lecture boutiquière 

Favorable à la tenue de ces consultations dans les centres de santé gérés par des hôpitaux (une trentaine à ce jour), la Fédération nationale des centres de santé (FNCS) prend le contrepoint des libéraux. « Une lecture boutiquière de la situation n'est pas appropriée. L'hôpital ne veut pas s'occuper des soins de ville à leur place et l'accès aux soins pour tous est une priorité ! », tranche son président Richard Lopez. 

Le Dr Christian de Gaye, président de l'Association nationale des médecins généralistes des hôpitaux locaux (AGHL), est sur la même ligne. Selon lui, « il n'y a pas de problème à ce qu'un hôpital organise une offre de médecine générale dans un territoire pauvre en médecins, à condition que cela se fasse en concertation avec les libéraux ». 

Anne Bayle-Iniguez

Source : Le Quotidien du médecin: 9551