À l'hôpital, entre rappel de la charte et tolérance bien obligée

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Publié le 03/10/2016
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REPORTAGE

REPORTAGE
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Microcosme de la société, l’hôpital public est en prise directe avec les questions de laïcité. « Les sentinelles » que sont ses agents sont parfois décontenancées, reconnaît la ministre de la fonction publique Annick Girardin, venue prendre le pouls des soignants de l'hôpital Bichat fin septembre, dans le cadre des travaux de la commission sur la Laïcité (lancée en juin, elle doit rendre son rapport en novembre).

Aux dires des personnels, les incidents se concentrent à la maternité : des pères qui exigent - « souvent pour des raisons religieuses » - que leur femme ne soit pas vue par un sage-femme masculin ; ou qu'elle réside dans une chambre simple. Autant de demandes qui ne peuvent pas toujours être satisfaites dans un contexte d'accouchement, d'urgence.

Il y a des crises aiguës, favorisées par le manque de personnel : « une patiente saignait, le mari ne voulait pas qu’un homme l’examine. Cela s’est fini avec la Bac ; j’ai porté plainte pour obstructions aux soins », témoigne un soignant, tout en insistant sur la rareté de tels évènements.

Des situations choquantes pour les soignants, comme celle d'une patiente malade, dont la grossesse mettait la vie en danger. « Le père n'a pas voulu qu'elle avorte de l'enfant, premier fils après trois filles. La femme, se rangeant à son avis, a été hospitalisée toute sa grossesse et au 8e mois a subi une double opération, cardiaque et obstétricale. 15 ans après, la mère et son fils se portent bien mais cela m'a posé un problème éthique », relate le Pr Dominique Le Guludec. Une infirmière se souvient d'un père qui exigeait que son enfant prématuré, en couveuse, porte une kippa.

Il y a tous les petits heurts du quotidien. Une femme qui appelle une infirmière à 3 heures du matin pour éteindre la lumière un vendredi soir. Des patients qui refusent de nourrir leur enfant avec du lait de l’AP-HP car il n’est ni halal ni casher…

Complexité

Les soignants ne sont pas épargnés par ces questions, qui affleurent à l’occasion des fêtes religieuses, ou face à des étudiants ou des prestataires extérieurs, qui méconnaissent les règles du service public.

Mais le ton est à la nuance et à l’apaisement, avec une conscience partagée de la complexité des situations et la volonté de ne pas caricaturer le rôle de la religion, qui ne saurait à elle seule tout expliquer. « De la pudeur peut être à tort attribuée au fait religieux », observe un autre médecin. Sur le versant négatif : « ce n'est souvent qu'un prétexte qui au fond, recouvre de l'intolérance, de la part du patient ou du soignant » note un urgentiste. « Une soignante femme est récusée : entorse à la laïcité ou discrimination ? » s'interroge une sage-femme. Sans oublier que l'hôpital reste une caisse de résonance des violences de la société ou du règne du client roi.

En miroir, « des patientes portant des signes ostentatoires adhèrent aux règles de l'hôpital et ne font pas cas d'être soignées par des hommes », dit un soignant.

Tous les acteurs s'accordent sur l'importance de l'information en amont pour déminer les conflits. À l'égard du personnel, le rappel à la charte de la laïcité fait figure de mantra, et ce dès l'embauche. « On la fait signer à chacun », y compris aux internes depuis le 1er mai 2016, rapporte la directrice des ressources humaines.

« Quand j'étais jeune chef de service, je ne savais pas à qui m'adresser, ne serait-ce que pour dialoguer avec un médecin étranger. Désormais les règles sont claires et nous facilitent la tâche » reconnaît le Pr Le Guludec.

L'art de l'arrangement

Si l'hôpital public s'érige en gardien de la laïcité grâce à la vertu de la règle, au jour le jour les personnels négocient.

La plus grande tolérance règne peut-être dans la chambre mortuaire. « Nous sommes le dernier service des soins. Nous adoucissons les conflits qui ont pu surgir en amont. Nous tolérons beaucoup de choses qui relèvent souvent plus du culturel que du religieux tant que ça ne gêne pas ordre public », explique la responsable.

« Nous nous accommodons de la religion des patients, parce que plus globalement, on s'accommode de leur ressenti, de leur corps, de leur hygiène, de ce qu'ils sont et cela ne pose pas plus de problème que le reste », conclut le Pr Le Guludec. 

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9522