Live chat du « Quotidien »

Secret médical, confinement, accès aux soins, PMA… Posez vos questions à Jacques Toubon, Défenseur des droits

Publié le 03/07/2020

Jacques Toubon quittera sa fonction de Défenseur des droits le 16 juillet. Au cours de son mandat, il a pris position sur de nombreux sujets dans le domaine de la santé, n’hésitant pas à épingler les médecins refusant l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU et de l’AME. À l’heure du bilan, il répondra à vos questions en direct au cours d’un Live chat d’une heure.

L’accès aux soins est-il entravé en France ? Quel rôle les médecins peuvent-ils jouer dans la lutte contre les discriminations ? Comment préserver le secret médical à l’heure des nouvelles technologies ? Refus de soins aux bénéficiaires CMU et AME : les médecins sont-ils coupables ? La lutte contre l’épidémie de Covid-19 menace-t-elle nos libertés ? La téléconsultation peut-elle engendrer des discriminations dans l’accès aux soins ? PMA : les médecins pourront-ils invoquer la clause de conscience ?…

 

Live chat Jacques Toubon

Journaliste QDM (SL)
Bonjour à toutes et à tous.
Le Live chat va bientôt commencer. Nous accueillons aujourd’hui Jacques Toubon, Défenseur des droits. Au cours de son mandat, il a pris position sur de nombreux sujets dans le domaine de la santé. Alors qu’il s’apprête à quitter ses fonctions, Jacques Toubon fera le bilan de son action et répondra à vos questions pendant toute la durée de ce Live chat.
 
Journaliste QDM (SL)
Jacques Toubon vient d'arriver à la rédaction. Le Chat va commencer...Live chat Jacques Toubon
 
Journaliste QDM (SL)
Bonjour Jacques Toubon. Nous sommes ravis de vous accueillir dans les locaux du « Quotidien ». Merci d’avoir accepté notre invitation.
Jacques Toubon
Je suis extrêmement heureux de me retrouver dans les locaux du « Quotidien du Médecin » et de pouvoir répondre à toutes les questions de ce « chat », comme on dit en français.
Docteur Dany
Pensez-vous qu’il soit tolérable que des personnes âgées résidentes dans les EHPAD soient encore interdites de sorties ? Que faire et vers quelle autorité se tourner face à un refus de la direction de l’EHPAD de laisser sortir une personne âgée pour une visite dans sa famille alors qu’elle en est capable physiquement ? Pouvons-nous admettre une telle privation de liberté ?
Jacques Toubon
J'ai traité cette question dès le début de l'année et pendant l'épisode de pandémie de manière ponctuelle. À l'automne, je pense que la Défenseure des droits publiera une décision cadre relative aux droits fondamentaux des personnes hébergées dans les EHPAD et autres formes d'hébergement collectif. Cette décision, à laquelle j'attache beaucoup d'importance, n'a été retardée que par la surcharge de travail qu'a entraîné aux juristes la situation depuis le mois de mars.

Naturellement, à côté de cette décision cadre, nous traiterons toutes les réclamations individuelles que nous recevrons, comme nous avons commencé à le faire.

De manière plus générale, la liberté d'aller et de venir, est un des principes fondamentaux que la peur, la volonté de sécurité, tendent à compromettre à travers les deux états d'urgence successifs, mais aussi simplement, par la manière dont sont traités certains patients, par exemple, dans les établissements psychiatriques, comme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté l'a montré récemment, certains pensionnaires d'établissements médico-sociaux (et pas seulement les personnes âgées) et aussi par les atteintes qui sont portées à la liberté de manifester.
Dr PIERRE
Savez-vous que les détenteurs de carte CMU ou AME n’ont pas toujours leur carte à jour ou avec eux et que notre faible rémunération de consultation de généraliste nous oblige à faire un peu plus de paperasserie et cette donnée vous ne l’appréciez pas parce que vous êtes très mal informé. Pas de jugement SVP à l’emporte-pièce !!!! Merci.
Jacques Toubon
Je comprends très bien ce que vous dites de votre quotidien mais ce n'est en rien une justification pour pratiquer une inégalité de traitement entre les assujettis aux différents régimes de Sécurité sociale. Par exemple, pour les prises de rendez-vous. La discrimination est intentionnelle ou bien non intentionnelle ou indirecte, ce qui compte c'est le résultat. Ai-je mon rendez-vous comme les autres ou trois mois plus tard ? Les caractéristiques de ces régimes particuliers que vous invoquez ne sont en aucune façon susceptibles de vous exonérer de la règle fondamentale de l'égalité de traitement.
Cannelle
Bonjour. Secret médical et confinement des élèves. Peut-on transmettre au médecin conseiller départemental les éléments donnés par les familles, afin de procéder aux recherches des sujets contacts en partenariat avec l'ARS ou fermetures éventuelles de classes ou écoles. Merci.
Jacques Toubon
Ma réponse réflexe serait plutôt oui, car le médecin conseiller départemental est couvert par le secret médical, et que les dispositions de l'état d'urgence sanitaire (en particulier, le système de recherche des cas SIDEP et contact Covid) me paraissent préserver le secret entre ceux qui peuvent en être les gardiens. La preuve, c'est que dans la discussion parlementaire, un certain nombre de personnes qui n'étaient pas couvertes par le secret ont été écartées du système par les parlementaires.

J'ajoute que vous pouvez, si vous avez un doute sur une situation particulière, nous saisir. Nous analyserons la situation le plus vite possible.
Fred89
Dans votre rapport annuel, vous pointez le manque d'accessibilité de certains cabinets médicaux... oui pour l'accès des personnes handicapées, mais c'est un coût énorme, voire des travaux carrément impossibles pour certains médecins installés dans des immeubles, dans les centres de grandes villes !!
Jacques Toubon
C'est une éternelle question. Tant que l'on n'admettra pas une priorité pour l'accessibilité, pour ce qu'on appelle les « aménagements raisonnables », notion mal connue en France, et que des systèmes de financement ne seront pas mis à la disposition des personnes publiques ou privées qui doivent réaliser ces aménagements, on continuera à connaître une situation que je viens d'ailleurs de décrire, et de dénoncer, dans le rapport que j'envoie ce jour-même au comité de Genève des droits des personnes handicapées, afin de préparer l'examen par ce comité de la situation de la France, probablement à la fin de cette année.

La loi sur les droits fondamentaux des personnes handicapées de 2005, la convention internationale de 2006, ratifiée par nous en 2010, nous obligent. Je reconnais que l'actuel gouvernement a été particulièrement actif mais nous sommes encore loin du compte. Et c'est une des raisons pour lesquelles le handicap reste le premier critère de discrimination sur lequel nous sommes saisis de réclamations au titre de la lutte contre les discriminations.
Journaliste QDM (SL)
Live chat avec Jacques Toubon
 
Pédiatre en 93
Non seulement je donne mes soins de la même manière aux CMU, AME, ACS, mais aussi gratuitement à ces familles « précaires » qui attendent leur affiliation à l'Assurance-maladie depuis plusieurs mois pour des raisons de « retards administratifs » ou de contrôles qui empêchent les enfants d'être en égalité avec tous dans l'accès aux soins... Mais les médicaments prescrits ne sont pas donnés gratuitement à la pharmacie... Doit-on s'adresser au Défenseur des droits pour accélérer le règlement de ces problèmes ?
Jacques Toubon
Premièrement, je vous félicite et vous remercie. Deuxièmement, vous trouverez sûrement une oreille particulièrement attentive chez la Défenseure des droits pressentie, Claire Hédon, qui, en tant que présidente d'ATD Quart Monde, était particulièrement attentive à la situation des personnes précaires. Troisièmement, n'hésitez pas à saisir le DDD sur les difficultés que vous évoquez.
Myosotis
Pourquoi a-t-on interdit aux médecins libéraux de prescrire de l'hydroxychloroquine ? Ne sont-ils pas aptes à juger la pertinence de ce soin en leur âme et conscience ?
Jacques Toubon
C'est une question que je n'ai pas eue à traiter car si nous sommes en charge des droits des malades, c'est sur le plan juridique. Nous nous interdisons d'empiéter sur le domaine médical ou scientifique. Les décisions qui ont été prises, en ce qui concerne cette molécule, relèvent d'autorités indépendantes compétentes en matière médicale, et de la responsabilité des médecins. Nous n'avons pas à interférer.
lulumaine
Pourquoi ne pas laisser partir un nourrisson qui se voit détecter une maladie génétique incurable. Une vie de malade permanent, un quotidien qui exclut toute vie sociale et dont l'espérance de vie est de 20 ans. Impossibilité de dégrader toute protéine en urée, dialyse rénale à 7 jours, septicémie à staphylocoques dorés, gastrotomie à 3 mois, et décompensation au moindre épisode infectieux et hospitalisation 20 fois par an. Les réanimateurs qui connaissent le pronostic effroyable donnent tout ce qu’ils peuvent pour le garder en vie avec grand succès, ce sont d’excellents techniciens mais, au niveau de l’humain, zéro pointé. Comment faire évoluer cette loi Leonetti dans ces cas dont la vie sera un long calvaire débouchant inéluctablement à la mort ? Technicité, d’accord. Mais acharnement, NON.
Jacques Toubon
La mission du DDD n'est pas de juger la loi, mais de l'appliquer. Nous avons pris quelques positions à partir de la loi Leonetti et nous n'avons jamais ambitionné de nous avancer sur le terrain de la morale ou de l'idéologie. Et ce n'est pas au moment où je quitte mes fonctions que je m'y aventurerais.
Dr BZH
La crise sanitaire a favorisé le développement très rapide de la télémédecine, par Skype, par téléphone, par WhatsApp... Un problème pour le secret médical, selon vous ?
Jacques Toubon
Dès avant la pandémie, nous avons mis en garde les parlementaires et le gouvernement à propos de l'article de la loi de bioéthique qui permet de recourir davantage à la télémédecine. Et nous avons proposé un amendement qui s'efforçait d'encadrer l'usage des algorithmes et de l'intelligence artificielle. L'usage justifié des nouvelles technologies pendant le confinement donne à cette prise de position une actualité supplémentaire. C'est pourquoi nous avons engagé un travail de fond. Il y a eu un premier séminaire de chercheurs fin mai sur les risques discriminatoires qui peuvent être contenus dans les bases de données, les algorithmes, et l'usage de l'IA. C'est vrai dans de multiples domaines et en particulier celui de la santé où peuvent être mis en cause des principes fondamentaux comme le consentement et le secret médical ; et où certains biais discriminatoires peuvent conduire à des inégalités d'accès aux soins et de prise en charge des patients.

Pour moi, c'est une des questions cruciales de l'avenir de la médecine. Car il ne peut pas être question d'arrêter le progrès et de ne pas utiliser des technologies qui sont susceptibles, si elles sont bien contrôlées, de répondre à des situations préoccupantes, telles que les déserts médicaux.

Aujourd'hui en Europe, nous disposons du RGPD (règlement général sur la protection des données). Il faudra sûrement le perfectionner sur le domaine de la santé et, pour ce qui est de la France, je fais pour ma part confiance à une autorité indépendante qui est un peu, dans le virtuel, l'homologue du DDD, la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés).
Journaliste QDM (SL)
Live chat avec Jacques Toubon
 
Lefebvre
Peut-on conseiller à un patient de saisir le Défenseur des droits pour accélérer une décision d'orientation de la MDPH (maison départementale des personnes handicapées) qui ne respecte pas le délai légal pour rendre une décision ?
Jacques Toubon
Bien entendu. Et nous agirons à la fois auprès de la MDPH et du conseil départemental. Mais comme pour beaucoup d'autres questions, c'est le système qui est en cause. La décentralisation dans ce domaine, l'insuffisance des moyens des MDPH, les limites budgétaires, tout concourt à rendre les prestations pour les personnes handicapées plus restrictives qu'elles ne devraient l'être.

C'est une des raisons, par exemple, pour lesquelles nous avons passé une convention avec la CNSA et pour lesquelles nous suivons avec beaucoup d'intérêt les efforts faits par le gouvernement actuel pour mettre en place un système d'information national des MDPH et, plus largement, une connaissance fine de la situation des personnes handicapées, encore insuffisante aujourd'hui.
Raoul H
Bonjour. Que pense le Défenseur des droits des tribunaux d’exception que représente l’Ordre des médecins ?
Jacques Toubon
Le DDD pense que les ordres professionnels sont légaux et le DDD applique la loi.
A.D.
Vous dites qu'il faut supprimer la clause de conscience spécifique à l'IVG. Qu'est-ce que cela implique pour les médecins ? Est-ce qu'on peut contraindre un médecin à faire une IVG ?
Jacques Toubon
Supprimer la clause spécifique ne veut pas dire supprimer la clause générale du serment d'Hippocrate dont tout médecin continuera à pouvoir se prévaloir.
bev
Les personnes âgées autonomes vivant seuls ou en couple à domicile ont été isolées pendant la période de confinement et post-confinement. Les mesures adoptées visent essentiellement les personnes en EHPAD. Quelles solutions sont envisageables, quelles autorités pourraient intervenir pour renforcer la prise en considération de ces personnes invisibles aux yeux du législateur ?
Jacques Toubon
Vous avez pu remarquer que j'ai été parmi les premiers à dire qu'il était impensable de traiter différemment dans le déconfinement les personnes au-dessus d'un certain âge. C'est une discrimination que nos principes républicains interdisent. La prise en considération positive de ces personnes et des aidants qu'il ne faut pas oublier, qu'ils soient professionnels ou familiaux, relèvent d'une politique de prise en charge de la dépendance. Un cinquième régime va être créé, ce n'est qu'un cadre, une loi sera examinée à l'automne et je pense que la DDD donnera un avis circonstancié sur le projet.
Je rappelle que depuis deux ans, conscient de la portée et de l'urgence de ces situations, j'ai réuni un comité d'entente « avancée en âge » qui regroupe des associations représentatives et avec lesquelles j'ai échangé deux fois depuis le début de cette année. Dans la limite de ses compétences, le DDD est donc prêt à prendre toute sa part dans ce défi pour notre société.
BD
Que peuvent les médecins pour améliorer l'accès des handicapés aux soins ? Est-ce que les rémunérations sont les seuls leviers ?
Jacques Toubon
Il est vrai que nous avons traité la question de la prise en charge des soins dans des établissements médico-sociaux et en particulier pour personnes handicapées. Car la situation n'est pas uniforme suivant les caisses d'Assurance-maladie. De manière plus générale, je crois que les médecins doivent être parmi les principaux porteurs de la politique d'inclusion, des aménagements raisonnables, de l'accessibilité car les personnes handicapées ne sont pas des malades, mais des personnes porteuses de différences qu'il faut compenser.
El doctor
Comment travaillez-vous avec la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté sur les hospitalisations sans consentement ou les unités pour malades difficiles ? Plus largement, comment analysez-vous la situation dans les hôpitaux psychiatriques où le manque de personnel accroît le recours à la sédation et à la contention ?
Jacques Toubon
Je partage complètement les analyses et les conclusions de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté telles qu'elle les a exposées dans son récent rapport sur les hospitalisations des malades psychiatriques sans consentement. C'est un domaine où nous avons le plus souvent confié les questions qui nous avaient été posées à la Contrôleure générale sans nous interdire de traiter certaines situations particulières, notamment celles qui relèvent de la question des droits de l'enfant. Méthodes de force et de contention contre des enfants hospitalisés, hospitalisation de mineurs dans établissements pour adultes, etc.

La Défenseure des enfants, qui est mon adjointe, a publié un rapport sur les enfants et la maladie mentale, lorsqu'elle était présidente du réseau européen des Défenseurs des enfants en 2018.
charp88
Dans le cadre de la pandémie Covid-19 et en particulier dans les EHPAD, les salariés ont été testés (PCR) mais les résultats ont été transmis directement à la direction sans même informer le médecin du travail de l'établissement. Quid du secret médical ? Quid du rôle du médecin du travail ?
Jacques Toubon
Je ne me sens pas équipé pour répondre à cette question que nous n'avons pas eue à traiter mais si vous me saisissez d'une situation ponctuelle, je demanderai à mes équipes d'examiner la question en droit.
Journaliste QDM (SL)
Ce Live chat est sur le point de se terminer. Dernière question à Jacques Toubon.
 
-- Vieux doc
Quel épisode vous a le plus marqué au cours de votre mandat de Défenseur des droits ?
Jacques Toubon
Comme vous l'avez vu, le Défenseur est un peu le miroir de toute la société dans ses difficultés d'accès aux droits. Il est donc très difficile de répondre à votre question. Dans ce que j'ai décidé, je suis cependant particulièrement fier, c'est la fierté de l'institution et non pas de ma personne, du rapport que nous avons publié en octobre 2015 sur le camp des migrants à Calais, du rapport de janvier 2019 sur les risques d'inégalités d'accès aux droits à la suite de la dématérialisation des formalités administratives, de nos prises de position pour faire respecter la déontologie de la sécurité, en particulier dans les opérations de maintien de l'ordre, et tout dernièrement du rapport sur l'insuffisance des politiques publiques dans la lutte contre les discriminations selon l'origine qui illustre parfaitement les deux exigences inhérentes à toute République, la connaissance et la conscience.
Journaliste QDM (SL)
Merci Jacques Toubon, d’avoir participé à ce Live chat avec les lecteurs du « Quotidien ». À vous le mot de la fin !
Jacques Toubon
Ce n'est qu'un au revoir car les droits, ceux des malades, ceux des médecins et tous les autres sont un combat qui n'a pas de fin.
Journaliste QDM (SL)
Merci à toutes et à tous pour votre participation. Rendez-vous à la rentrée pour un nouveau Live chat.

Nous avons reçu beaucoup de contributions. Toutes nos excuses aux lecteurs dont les questions n'ont pas été retenues.

 


Source : lequotidiendumedecin.fr