Dr Christelle Cat : « Paulette Guinchard est allée en Suisse pour demander le suicide assisté car elle n'avait pas d'autre choix »

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Publié le 05/05/2021
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Paulette Guinchard lors des élections législatives de 2012 dans le Doubs.

Paulette Guinchard lors des élections législatives de 2012 dans le Doubs.
Crédit photo : Arnaud25

Le 4 mars dernier, Paulette Guinchard (photo), ancienne secrétaire d'État chargée des personnes âgées et ancienne députée du Doubs, décidait de mettre un terme à sa vie en ayant recours au suicide assisté, en Suisse. Âgée de 71 ans, Paulette Guinchard était atteinte d'une maladie neurodégénérative génétique et incurable dont elle connaissait l'issue. 

Le Dr Christelle Cat, généraliste à Chaux-des-Crotenay dans le Jura, était son médecin traitant depuis 2010. Témoin de l'évolution de sa maladie et de la souffrance qu'elle provoquait chez sa patiente, elle livre au Généraliste une interview poignante sur ces dix années de suivi. 

Comment avez-vous accompagné votre patiente pendant ces dix dernières années ?

J'ai suivi l'intégralité de son parcours médical. Je la voyais régulièrement pour ses renouvellements de traitements. Je l'ai aussi accompagnée un peu psychologiquement en lui proposant notamment un séjour en centre de rééducation fonctionnel. Ce séjour était programmé quand elle en ressentait le besoin. Mais j'ai surtout suivi l'évolution de la maladie à ses côtés en étant malheureusement bien impuissante puisque nous en connaissions l'issue. Nous étions dans une impasse. Je voyais que Paulette Guinchard était en très grande souffrance psychologique et physique, c'était très dur. De mon côté, je sentais bien que je n'avais plus les moyens de la soulager, de répondre à sa demande et cela a pu être assez frustrant.

Étiez-vous au courant de la volonté de Paulette Guinchard de mettre un terme à sa vie ?

Oui, je savais qu'elle cherchait un moyen de ne pas attendre la fin. Elle avait d'ailleurs rédigé ses directives anticipées que j'avais intégrées dans son dossier médical. Son choix ne faisait place à aucun doute. Au début, elle envisageait la sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès. Elle s'était donc tournée vers le Pr Régis Aubry, chef du département des soins palliatifs du CHU de Besançon, afin de lui présenter son projet. Mais rapidement elle s'est rendu compte que la loi française ne pourrait répondre à sa demande. Ça a été une très grande déception pour elle. Elle ne s'attendait pas du tout à ce que sa demande soit déboutée. 

Pourquoi la sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès (SPCMJD) n'était pas envisageable ?

Les SPCMJD peuvent être envisagées pour les patients atteints d’une maladie incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme. Ce n’était pas le cas de Paulette Guinchard. Certes, sa maladie évoluait d’un point de vue physiologique mais pas « assez » pour que son organisme soit suffisamment faible et pour que la sédation profonde entraîne le décès. Elle aurait été sédatée mais elle aurait fini par se réveiller puisqu’elle était suffisamment « solide » physiologiquement pour résister.  

Qu'a-t-elle donc décidé ?

Paulette Guinchard espérait vraiment pouvoir trouver une solution en France. Alors, quand elle s'est aperçue de l'échec de sa demande, elle a décidé d'affiner son projet en Suisse, tout simplement parce qu'elle n'avait pas d'autre choix. Même si ça a été très difficile de l'annoncer à ses proches, dans sa tête, c'était clair. Il fallait trouver une issue dans un délai relativement rapide pour mettre un terme à sa souffrance qui devenait insoutenable. Elle a donc sollicité deux associations suisses pour demander le suicide assisté. Une des deux n'a pas donné suite. L'autre n'a pas accepté d'emblée la demande. Il a fallu plusieurs mois avant qu'elle ne le soit. Paulette Guinchard, qui était accompagnée par son mari dans sa démarche, a vraiment dû montrer sa détermination avant d'obtenir un feu vert. Une fois qu'elle l'a obtenu, elle m'a rapidement informée des échéances.

Comment avez-vous accueilli sa décision ?

J'ai compris son choix. Je ne l'ai d'ailleurs jamais dissuadée de quoique ce soit. Même si ça peut être dur en tant que médecin traitant, j'ai accompagné et accepté sa décision. Elle m'a annoncé qu'elle avait décidé de partir en Suisse pour avoir recours au suicide assisté dix jours avant son départ. Avant qu'elle parte, je suis allée lui dire au revoir. Je me souviens d'une phrase qu'elle m'a dite, qui m'a beaucoup marquée. Elle m'a regardé droit dans les yeux en se penchant vers moi et m'a dit : « Il faut que tu saches que cette démarche est très importante pour moi, c'est très important ». Avec du recul, j'ai compris qu'en me disant ça, elle demandait à ceux qui l'avaient entourée, de porter sa souffrance à la connaissance du public pour que les choses évoluent vraiment. Il faut savoir qu'au début, Paulette Guinchard n'était pas du tout favorable à l’euthanasie. Si elle avait pu avoir un autre recours en France, elle l'aurait fait. Elle est allée en Suisse par dépit et par défaut des possibilités offertes en France. Ça n’a pas été de gaîté de cœur, vraiment.

Êtes-vous favorable à une évolution de la législation actuelle (loi Claeys-Leonetti) ?

Dans des contextes particuliers comme celui de Paulette Guinchard la loi n’est clairement pas suffisante. Les malades sont dans une sorte de « no man's land », ils souffrent mais personne ne peut répondre à leurs attentes. Que ce soit l’entourage des proches ou l’entourage médical, nous ne sommes pas toujours conscients de la souffrance psychique des malades. Parfois on peut la mesurer, mais malheureusement nous ne pouvons y répondre légalement. Il y a peut-être un écueil dans la loi qu’il faudrait combler avec évidemment toutes les précautions d’usage à prendre. Je rejoins toutefois la position du Pr Régis Aubry qui estime que le plus délicat n'est pas la loi mais l'usage qu'on en fait. C'est toujours très compliqué au niveau de l’éthique de savoir où nous devons mettre exactement le curseur. Je pense que la réponse au problème qui se pose dans notre société est davantage le suicide assisté que l'euthanasie.


Source : lequotidiendumedecin.fr