Interview croisée

Pédiatre & généraliste : se coordonner pour le bien de l'enfant

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Publié le 20/09/2021
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Deux praticiens répondent aux questions du Généraliste pour interroger la complémentarité de leurs rôles respectifs dans la prise en charge de l’enfant, au moment où la pédiatrie fait face à une crise démographique. Le Dr Pascal Le Roux est pédiatre au Havre (Seine-Maritime) et secrétaire général du Conseil national professionnel de pédiatrie (CNPP) ; le Dr Jean-Daniel Gradeler est médecin généraliste en MSP à Saint-Privat-la-Montagne (Meurthe-et-Moselle), maître de stage et enseignant à la faculté de Nancy.

Dr Graveler, à gauche et Dr Le Roux, à droite.

Dr Graveler, à gauche et Dr Le Roux, à droite.
Crédit photo : DR

Quelles sont les différences entre vos deux spécialités dans la prise en charge de l’enfant ?

Dr Pascal Le Roux : C’est une vaste question philosophique. Je dirais que le médecin généraliste est dans la globalité de la santé de l’individu, tous âges et toutes pathologies confondus. Le pédiatre, lui, s’occupe de l’enfant de sa naissance jusqu’à ses 18 ans. L’idéal, c’est que les enfants soient vus au moins une fois par an par un pédiatre dans leurs premières années de vie, pour vérifier que tout va bien. La caractéristique de cette spécialité, c’est le développement physique et psychique de l’enfant, le neurodéveloppement, la vérification de sa santé, la surveillance de la maltraitance, de la négligence, de son intégration dans la vie sociale (à l’école, en famille) et le placement des soins au bon moment. Je ne crois pas à une opposition restrictive entre les deux métiers ; nous sommes chacun dans un domaine particulier. Je crois qu’il y a une complémentarité : le généraliste a une vue globale et peut voir les enfants en première intention quand tout va bien et nous les envoyer quand il détecte un problème. Nous sommes formés pendant quatre à cinq années aux soins globaux de l’enfant, nous avons donc une plus grande connaissance des troubles du langage, par exemple, et de tous ces mécanismes propres à l’enfant.

Dr Jean-Daniel Gradeler : En médecine générale, notre formation est axée sur la prévention et le dépistage de troubles. Nous sommes formés au dépistage de nombreuses pathologies et cela nous permet de solliciter nos confrères pédiatres lorsqu’un diagnostic et un suivi spécialisé sont nécessaires. Ainsi, pour des questions de croissance, de développement ou d’autisme, qui dépassent mes compétences, j’adresse mes patients chez le pédiatre. Pour faire le lien avec le dernier rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la pédiatrie, il y a une phrase qui le décrédibilise à mon sens : celle qui prétend que la formation des généralistes est insuffisante en pédiatrie… sans le justifier. Je crois que c’est un truisme qu’on subit régulièrement, même si la formation n’est pas forcément homogène sur tout le territoire.

Selon le dernier rapport de l’Igas, la pédiatrie fait face à un grand problème démographique…

Dr P. L. R. : La philosophie du rapport est intéressante. Je partage le constat sur les difficultés démographiques pour les familles d’être suivies par un pédiatre quand il y a un problème de santé. Si on est pragmatique, les examens dits obligatoires devraient pouvoir être réalisés par des pédiatres au long cours de la vie de l’enfant. Mais quand c’est plus compliqué, il faut une prise en charge de soins coordonnée, graduée et intelligente. Un exemple : quand j’étais interne, l’expérience de vie d’un enfant atteint de mucoviscidose ne dépassait pas dix ans. Aujourd’hui, ceux-là vivent jusqu’à 40 ans et sont suivis, adultes, par nos collègues. La coordination est très positive et les généralistes sont inclus car nous avons réussi à faire vieillir cette population.

Dr J.-D. G. : Je ne définis pas la démographie médicale : je compose avec la réalité du terrain. On ne peut pas faire suivre tous les enfants en pédiatrie ! En tant que médecin de famille, ça ne me choque pas d’avoir un suivi de pédiatrie avec les enfants de mes patients. Et à chaque fois que j’ai rencontré des problèmes qui dépassaient mes connaissances, j’ai toujours adressé mes patients chez le pédiatre. Nous avons réussi, à Nancy, à mettre en place 16 stages pluridisciplinaires pour nos étudiants, permettant d’avoir des internes en médecine générale formés dans des pôles Santé de l’enfant intégrant pédiatres et généralistes libéraux en complément des stages hospitaliers. Ils ont donc une formation de qualité en pédiatrie. Sur la question du pivot, un enfant avec des troubles autistiques sera confié au pédiatre mais viendra chez moi, médecin généraliste, quand il aura une angine. Ainsi, sur la globalité, je serai plus informé de son environnement, la santé de ses parents, ses conditions de vie, etc. Mais c’est la même problématique qu’on observe avec les sages-femmes, qui aspirent à être les « spécialistes » de la femme ; résume-t-on la femme à sa physiologie ? C’est extrêmement réducteur !

Quelques chiffres

44 % des pédiatres libéraux ont plus de 60 ans

8 départements connaissent une densité inférieure à un pédiatre pour 100 000 habitants

85 % des consultations de ville des enfants de moins de 16 ans sont assurées par un généraliste

Source : rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la pédiatrie, daté de mai 2021

Comment inciter de nouveaux étudiants à devenir pédiatres pour pallier ce manque ?

Dr J.-D. G. : La rémunération des pédiatres et, surtout, la question du contour des métiers, sont de vrais enjeux. Quelle est la plus-value des pédiatres ? Quand on est organisé, on peut adresser ses patients chez un confrère et faire en sorte qu’ils aient un rendez-vous dans les trois ou quatre jours. Encore faut-il que l’expertise soit rémunérée à sa juste valeur. Peut-être que la télé-expertise peut aussi faire évoluer les choses de ce côté-là. À la faculté de Nancy, tous les externes réalisent un stage en médecine générale ; 100 heures pour voir ce qu’il s’y passe, c’est une chance ! La connaissance de ce que fait le confrère aide à une bonne coordination. Dans le même esprit, à Nancy, nous avons réussi à organiser des semestres de stage chez des pédiatres libéraux pour des internes en pédiatrie. Cela permet indéniablement une découverte de l’exercice libéral !

Dr P. L. R. : C’est une réflexion globale sur la formation des médecins. Je pense qu’il serait souhaitable que, rapidement, en second cycle, les étudiants puissent faire des stages en pédiatrie, en libéral ou à l’hôpital, pour découvrir le métier. Tout comme les internes en médecine générale, pour qu’ils sachent ce que c’est et qu’ils aient une formation approfondie de l’enfant.

Les parents se tournent-ils toujours vers un pédiatre, ou vont-ils plus facilement vers un médecin généraliste ?

Dr J.-D. G. : Je pense que ça dépend de l’offre autour des parents. Si vous avez un pédiatre à côté de chez vous, c’est normal que vous alliez le voir. En tant que médecin de campagne n’ayant pas de pédiatre à proximité, la demande est souvent la suivante : « vous suivez les enfants ? » Je rejoins le rapport de l’Igas là-dessus : pas besoin d’être pédiatre pour tous les suivis, comme pour faire des vaccins. Pour des sujets plus poussés, oui, bien sûr, et là se pose la question de la revalorisation de la consultation en pédiatrie.

Dr P. L. R. : Un couple qui vient d’avoir un enfant aura envie qu’il soit suivi par un pédiatre car il connaît sa valeur ajoutée : conseils, repérage de troubles, accompagnement global de l’enfant, etc. L’accès au soin pédiatrique est néanmoins très inégal sur le territoire. Il y a beaucoup d’offres en Île-de-France, en Provence-Alpes-Côte d’Azur et peu en ruralité, par exemple, même s’il y a d’autres formes de prise en charge, comme la protection maternelle et infantile (PMI). Je crois toutefois que c’est le pragmatisme de l’inégalité qui domine le choix des parents. Il est également admis et connu que les rendez-vous avec les médecins généralistes en suivi programmé ou urgence relative sont beaucoup plus rapides qu’avec les spécialistes.

Le rapport met en lumière des inégalités sociales et territoriales : la mortalité infantile est deux à trois fois plus élevée en outre-mer qu’en métropole et un enfant d’ouvrier a six fois plus de risques d’être obèse qu’un enfant de cadre. Où les politiques de santé publiques ont-elles failli ?

Dr P. L. R. : C’est un sujet complexe. Quand on compare avec les données étasuniennes sur l’obésité et la surcharge pondérale, on voit que c’est du même acabit. En réalité, la mortalité infantile ne diminue plus depuis quelques années, alors qu’on aurait pu espérer que ça change. Sur la question ultramarine, il y a de gros problèmes globaux, notamment d’accès aux soins et de conditions de vie des familles. En termes généraux, je crois qu’il faut travailler sur l’ensemble du parcours, de la grossesse à la naissance puis à la parentalité, à l’enfant en collectivité et opérer un dépistage précoce des handicaps et de la santé mentale. Il faut aussi travailler sur l’ensemble de la filière et en collaboration étroite avec l’Éducation nationale et les collectivités pour faire reculer ces données péjoratives.

Dr J.-D. G. : La cause est multifactorielle. Dire que les programmes de la Haute Autorité de santé (HAS) n’atteignent pas tout le monde et que, si on le faisait, ça marcherait, c’est faux.L’exemple du tabagisme est parlant : on plaque des photos horribles sur les paquets de cigarette et les gens fument quand même. Réduire les inégalités est une des missions du médecin généraliste. Au sujet de l’obésité, le problème n’est pas seulement les comportements mais également les perturbateurs endocriniens ou les biberons en plastique et leurs substances chimiques… Il faut en discuter et se demander comment mettre en place des actions de prévention. Mais là aussi, il y a un argument financier et culturel. Je reste frappé par cette maman de jumeaux, aidée par sa mère à domicile et qui ne travaillait pas. Elle disait ne pas avoir le temps de faire ses petits pots pour ses enfants. Nous avons tous notre part, en tant que professionnel de santé, à éduquerles patients. Nous faisons de la prévention en cabinet, mais ce n’est pas un acte coté donc cela n’est pas visible pour l’Assurance maladie. Pourquoi ne pas faire des consultations de prévention ?

Olivier Véran a annoncé le remboursement de la contraception des femmes jusqu’à 25 ans. Pour vous, s’agit-il d’une thématique de médecine générale, gynécologie ou pédiatrie ?

Dr J.-D. G. : Quel que soit l’endroit où un patient est au contact d’un professionnel de santé, il faut que ce dernier puisse mettre en place de la contraception. C’est une question de personne plus que de spécialité. Si une adolescente est plus en confiance avec son pédiatre, il vaut mieux que ce dernier l’aide à ne pas se retrouver avec une grossesse non désirée. La question qui se pose est celle de la relation entre l’enfant et le professionnel de santé. « Vais-je parler de ma vie sexuelle au médecin chez qui maman et papa m’ont emmenée ? » Est-ce que l’adolescente peut toquer à la porte du pédiatre pour avoir accès à une contraception ? Je crois qu’il faut trouver le conseil là où il est.

Dr P. L. R. : C’est une bonne mesure, déjà, quand on voit les IVG chez les adolescentes à haut risque, car elles ne sont pas toujours matures, mentalement et psychologiquement. C’est une question de santé publique qui concerne tous les acteurs. Il faut bien accompagner les adolescentes et continuer la prévention de manière à rompre ce schéma d’inégalités sociales.


Source : lequotidiendumedecin.fr