La pièce en trois actes de la thérapie cellulaire cardiaque

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Publié le 21/10/2022
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Après l'avoir testée dans l'infarctus du myocarde, les promoteurs de la thérapie cellulaire en cardiologie se sont progressivement tournés vers l'utilisation du sécrétome de cellules souches dans l'insuffisance cardiaque, en attendant l'arrivée de technologies à ARNm.

Crédit photo : Burger/Phanie

L'histoire de la thérapie cellulaire en cardiologie a connu plusieurs chapitres. Et malgré des revers, la piste n'est pas abandonnée. Les indications et les approches se modifient au fil des études.

La première déception a concerné l'infarctus du myocarde (IDM). Après de nombreux essais de petites tailles aux résultats contradictoires, Bami (1) devait être l'étude dont le grand effectif aurait dû permettre de trancher la question. La procédure évaluée consistait en une injection intracoronaire de cellules souches mononucléaires issues de la moelle osseuse du patient.

Mais si cela reste la plus grande étude jamais faite sur ce sujet, les investigateurs ont rencontré des problèmes organisationnels. Seulement trois des sept centres producteurs de cellules respectaient suffisamment les bonnes pratiques pour pouvoir participer et seuls 375 patients ont été inclus sur les 3 000 initialement prévus.

La thérapie cellulaire n'a pas démontré sa supériorité, avec une mortalité toutes causes à deux ans de 3,26 % dans le groupe traité contre 3,82 % dans le groupe témoin, mais un taux de réhospitalisation pour insuffisance cardiaque (IC) de respectivement 2,7 % et 8,1 %.

Dream enfonce le clou

Dans l'IC, l'étude Dream-HF n'est pas parvenue non plus à démontrer l'intérêt des cellules souches mésenchymateuses. Après un suivi moyen de 30 mois, le critère primaire d'évaluation, à savoir une réduction significative du risque d'IC décompensée, n'était pas atteint. En revanche, il y avait une diminution très significative du risque d'IDM et d'accidents vasculaires cérébraux (AVC) non mortels.

Cet essai « a tourné une page dans l'histoire », explique l'un des principaux investigateurs, le Dr Emerson Perin de l'institut de cardiologie de Houston. « La thérapie cellulaire touche au cœur de l'entretien des mécanismes de l'IC, poursuit-il. Quand nous réduisons le risque d'AVC et d'IDM, cela signifie que les processus immunitaires à l'origine de l'athérosclérose et de la rupture des plaques d'athérome sont aussi impactés par l'effet anti-inflammatoire systémique de ces cellules. »

Le virage vers l'insuffisance cardiaque

Pour le Pr Philippe Menasché du service de chirurgie cardiovasculaire de l'hôpital européen Georges Pompidou (HEGP, AP-HP), pionnier de la thérapie cellulaire cardiaque, l'affaire est entendue. « Depuis les résultats de Bami, les équipes qui travaillent sur la thérapie cellulaire en cardiologie se concentrent plutôt sur les cardiopathies non ischémiques que sur l'IDM », explique-t-il.

Mais certaines équipes n'ont pas dit leur dernier mot. La biotech CellProthera, basée à Mulhouse, vient d'entamer une étude de phase 2 chez 44 patients recrutés juste après un IDM. Ces derniers recevront une injection de cellules souches hématopoïétiques CD34+ autologues. Leur potentiel angiogénique pourrait permettre d'éviter la formation de fibrose qui fait le lit de l'IC.

Le sécrétome

Toutefois il faut savoir qu'une fois injectées, les cellules souches ne survivent pas longtemps : « 80 % meurent dans les heures qui suivent, précise le Pr Menasché. Elles ne colonisent pas les tissus de la zone infarcie pour produire du muscle cardiaque. Leur effet est donc indirect, induit par les protéines et les facteurs de croissance qu'elles diffusent dans le micro-environnement tissulaire. »

En 2018, les chercheurs de l'HEGP avaient publié les résultats de l'étude Escort (2), qui démontrait la faisabilité de l'utilisation d'un patch contenant des cellules souches fixées sur la zone infarcie du myocarde. Constatant la faible survie des cellules, le Pr Menasché et ses collègues ont opté pour une nouvelle approche : l'injection intraveineuse du sécrétome de vésicules de cellules progénitrices cardiaques obtenues à partir de cellules souches pluripotentes induites (iPS). Le dossier d'un essai sur 12 patients est actuellement sur le bureau de l'Agence du médicament (ANSM), pour un lancement programmé en 2023. « On pourra traiter tous les patients à partir du même lot produit de façon standardisée par le centre Meary de l'hôpital Saint-Louis », précise le Pr Menasché.

D'autres équipes dans le monde travaillent sur la même piste thérapeutique. Le centre médical universitaire d'Utrecht travaille à la caractérisation du contenu et du mode d'action de ces vésicules. À terme, les chercheurs néerlandais voudraient provoquer la production de facteurs vésiculaires en utilisant la technologie à ARNm.

Cette troisième voie, celle de l'ARNm, a pour ambition de réussir là où les autres ont échoué : régénérer le myocarde en déclenchant une prolifération contrôlée des cellules cardiaques. Un projet européen impliquant le centre médical universitaire d'Utrecht, des équipes polonaises et l'HEGP vise à isoler les ARNm pertinents, les fixer sur des nanoparticules puis les tester chez l'animal.

(1) A. Mathur et al, European Heart Journal, vol 41, n°38, p 3702–3710, octobre 2020
(2) P. Menasché et al, Jacc, vol 71, n°4,  p 429-438, janvier 2018,

D. C.

Source : Le Quotidien du médecin