Pr Marianne Zeller, CHU de Dijon

Le cœur, première victime de la détérioration de l’environnement

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Publié le 03/03/2023

Aujourd’hui, la relation causale entre la pollution de l’air et les maladies cardiométaboliques est évidente. Si le risque individuel est faible, la pollution de fond a un effet sanitaire majeur au niveau populationnel. Le bruit et les températures extrêmes sont aussi associés à une hausse de la morbimortalité cardiovasculaire (CV).

Institut de recherche cardiovasculaire, CHU de Dijon et université de Bourgogne

Institut de recherche cardiovasculaire, CHU de Dijon et université de Bourgogne
Crédit photo : DR

Parmi les dix principaux facteurs de risque cardiovasculaire (CV), la pollution serait chaque année à l’origine de sept millions de décès dans le monde, dont 48 000 à 69 000 décès prématurés en France. En Europe, les maladies CV ischémiques sont la première cause de mortalité prématurée imputable à la pollution atmosphérique (40 % de coronaropathies ischémiques, 8 % d’accidents vasculaires cérébraux [AVC]), devant la bronchopneumopathie obstructive ou les cancers bronchiques. « On sait depuis longtemps que l’air ambiant a un effet sur la santé CV », rappelle la Pr Marianne Zeller, Institut de recherche cardiovasculaire (CHU de Dijon et université de Bourgogne).

Les polluants de l’air contiennent de l’ozone, du dioxyde d’azote ou de soufre, des composés organiques volatils, et des milliers de particules en suspension. Issus de l’activité humaine, ils sont surtout liés à la combustion incomplète des énergies fossiles (trafic routier, industrie, chauffage) et l’activité agricole. Ces polluants s’ajoutent aux phénomènes naturels, tels que les mégafeux, les vents de sable ou les éruptions volcaniques.

Les particules en suspension les plus étudiées sont les particules fines (PM2,5), issues notamment de la combustion des énergies fossiles, du chauffage au bois et des épandages. Elles pénètrent dans les voies respiratoires et sont constituées d’un mélange complexe de carbone suie (poussière de carbone de couleur noire), d’hydrocarbures, de métaux lourds, de nitrates, de pollens, de virus… Des normes ont été édictées par l’Organisation mondiale de la santé et, avec des seuils plus permissifs, par les instances européennes.

Des effets à long terme

Les pics de pollution entraînent certes des effets néfastes à court terme : augmentation du risque de syndrome coronaire aigu (SCA) dans l’heure suivant l’exposition ou d’insuffisance cardiaque (IC) aiguë dans les 24 heures. Une vaste étude, menée en région PACA, avait établi le lien entre l’exposition à divers polluants (dont l’ozone) et les passages aux urgences pour dyspnée aiguë d’origine cardiaque, avec une grande hétérogénéité dans les délais de survenue des symptômes cliniques (selon le type de polluants et les territoires).

Mais à l’échelle des populations, le risque à long terme, lié à l’exposition de fond aux polluants, est le plus délétère. Chaque augmentation de 10 µg/m3 de l’exposition chronique aux PM2,5 multiplie la morbimortalité CV par un facteur de 15 à 17. Mais par quels mécanismes ? Chez l’animal, l’exposition permanente à un air pollué entraîne une accélération de la formation des plaques d’athérome. Chez l’homme, il a été établi une relation entre le score calcique et la proximité avec une route à forte circulation, sans seuil minimal d’efficacité des polluants. Les enfants se montrent particulièrement sensibles à la pollution de l’air. Menée dans huit pays d’Europe, une étude a mis en évidence un lien entre les taux de carbone suie dans les urines et le risque de développement ultérieur d’un syndrome métabolique. Une hausse des taux d’HbA1c et de la pression artérielle (PA) diastolique a été rapportée, chez les enfants vivant à moins de 250 mètres d’un axe routier majeur.

Les PM2,5 augmenteraient le stress oxydatif, après translocation au travers de la membrane alvéolaire, ou via l’inflammation pulmonaire. De récents travaux suggèrent également l’implication de la balance sympathovagale et l’activation des voies du stress, après stimulation de baro- et chimiorécepteurs pulmonaires. « Les populations à risque sont les patients âgés, insuffisants cardiaques ou avec des antécédents coronariens. Ils doivent être sensibilisés à ce problème », estime la Pr Zeller. Les dernières recommandations de la Société européenne de cardiologie de 2021, sur la prévention des maladies CV, indiquent que les sujets à haut et très haut risque doivent éviter les zones à fort niveau de pollution. La Haute Autorité de santé a publié, la même année, une fiche préliminaire sur la conduite à tenir en cas de pic de pollution.

Le bruit et les températures extrêmes

Les effets délétères du bruit sur la santé CV sont un champ de recherche émergent. Chez les riverains de l’aéroport de Düsseldorf (Allemagne), l’exposition aux bruits nocturnes entraîne une dysfonction endothéliale et une augmentation du stress adrénergique, associée à une altération de la qualité du sommeil. Selon des études épidémiologiques, les bruits issus du trafic (routier, ferroviaire ou aérien) seraient responsables d’une hausse de 8 % du risque de pathologie coronaire. Dans la région dijonnaise, l’observatoire RICO (soutenu par la Fondation Cœur et Recherche) a également retrouvé une augmentation graduelle du risque athérothrombotique, avec l’exposition à la pollution sonore chez les sujets coronariens, notamment les hommes.

Le système CV, qui intervient dans la thermorégulation, est aussi très sensible aux températures extrêmes. Selon de récentes méta-analyses, le froid et le chaud ont un effet sur la mortalité CV. Cette association suit une courbe en J, avec une pente plus faible pour les températures basses que les températures élevées, pour lesquelles le risque s’élève de façon exponentielle. Les conséquences sanitaires du froid sont plus importantes dans la population : la hausse de l’incidence des infarctus du myocarde en hiver est connue depuis longtemps. Mais l’expérience des épisodes de canicule a aussi mis en évidence leur effet sur la morbimortalité CV, surtout chez les personnes vulnérables (âgées ou avec des antécédents CV). Les mécanismes en cause sont différents. Pour les froids extrêmes, l’activation du système sympathique et de la vasoconstriction périphérique, avec augmentation de la PA, favorise la rupture de plaques. Pour les fortes chaleurs, il s’agit de pertes hydriques, de désordres hydroélectrolytiques et d’hypercoagulabilité. Les conséquences sur les évènements CV sont multiples : SCA, décompensation d’IC, arythmies et AVC.

L’organisme humain sait s’adapter aux variations de son environnement thermique, avec des mécanismes protecteurs très efficaces. Mais avec le réchauffement climatique et davantage d’épisodes météorologiques extrêmes, les conséquences CV pourraient s’accentuer.

D’après la communication de la Pr Marianne Zeller, Institut de recherche cardiovasculaire, CHU de Dijon et université de Bourgogne

Dr Isabelle Hoppenot

Source : Le Quotidien du médecin