Un entretien avec Marion Guillou, présidente de l’INRA

Pour l’agriculture, « l’écologie de la santé est prioritaire »

Publié le 17/02/2011
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Crédit photo : F. STUCIN/MYOP

LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - Vous proposez comme thème, dans le cadre du SIA, la santé des plantes et la santé des animaux. Est-ce à dire que votre institut donne la priorité aux problématiques liées à la santé sur celles qui ressortissent des impératifs de production et d’écologie ? Selon vous, la crise agricole mondiale est-elle d’abord une crise sanitaire ?

MARION GUILLOU - Plutôt que de parler de crise agricole mondiale, je préfère utiliser le terme de crise alimentaire mondiale. Les émeutes de la faim ne sont en effet pas un problème d’offre agricole insuffisante sur le plan quantitatif, mais de difficulté d’accès à la nourriture, notamment pour les ménages les plus pauvres. En cause, des revenus trop faibles et des prix trop élevés. Ce qui ne veut pas dire que, demain, il ne faudra pas augmenter la production agricole, et il faudra le faire dans un respect augmenté de l’environnement et des territoires. Dans ce contexte, la problématique sanitaire est centrale même si elle n’est pas exclusive. Il faut se préparer à une agriculture moins dépendante des utilisations de produits phytosanitaires et médicamenteux.

De façon plus générale, il me semble qu’isoler excessivement telle ou telle problématique, ici celle de la santé des plantes et des animaux, serait risqué. C’est en effet de façon simultanée et jointe qu’il faut relever le défi de l’alimentation, de la diminution progressive des énergies fossiles, de la protection de l’environnement, des inégalités sociales… ou encore celui de la santé.

Avec les maladies à prions, le sras, le chikungunya, le virus du Nil occidental et la grippe aviaire, les zoonoses menacent la santé humaine. Quelles sont les principales pistes de recherche aujourd’hui pour contenir ces foyers massifs de transmission de maladies émergentes à l’homme ?

Limiter l’incidence des maladies des animaux permet de fait de réduire les contacts avec l’homme. Surveillance, anticipation et gestion de l’état sanitaire global sont plus aisément organisées dans le contexte de l’élevage des pays développés. Dans le cas des maladies à prions, des stratégies se sont révélées efficaces pour enrayer l’épidémie : la surveillance systématique et l’éradication des foyers identifiés, l’interdiction des farines animales pour l’alimentation du bétail, puis la diffusion d’un gène de résistance dans les populations (ovins). De réels questionnements de recherche demeurent au sujet des maladies liées au mauvais repliement des protéines. En matière de grippes, nous travaillons à la connaissance des marqueurs de virulence du virus ou à ceux de l’adaptation à un hôte défini (ex. : canard, poule, porc, homme). En complément, organiser une surveillance poussée des virus en circulation permettra d’anticiper les risques et d’optimiser la formulation des vaccins. Parallèlement, la structure des protéines du virus est étudiée pour concevoir des médicaments qui bloqueraient leur multiplication ou leur diffusion.

Parmi les mésusages des traitements employés pour l’élevage ou la culture (antibiotiques, pesticides…) avez-vous fixé des priorités en termes de programmes de recherche ?

Oui, les approches d’écologie de la santé sont prioritaires. L’objectif est de constituer des systèmes plus robustes vis-à-vis des attaques d’insectes ou de parasites. Dans cette perspective, il importe que les recherches soient pluridisciplinaires pour profiter de l’apport conjoint de plusieurs disciplines et angles d’attaque sur une même question. Les recherches doivent également être internationales, et développées dans le cadre d’un partenariat étroit avec les acteurs de façon à faciliter le passage de la recherche à l’innovation. C’est dans cet esprit que nous avons lancé en 2010 des programmes interdisciplinaires. Ils visent à aborder une question en profitant de trois richesses majeures de l’INRA : la présence dans l’institut de plusieurs disciplines, un réseau de collaborations scientifiques internationales, et la richesse des partenariats socioprofessionnels. Plus spécifiquement, un des ces programmes a pour objectif la Gestion intégrée en santé animale (GISA) ; et un autre vise la même cible dans le domaine végétal (GISP, Gestion intégrée de la santé des plantes).

Le changement climatique va-t-il conduire à limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans l’agriculture ? Quelles sont les directions autour desquelles travaillent vos équipes ?

L’Union européenne s’est fixé des objectifs ambitieux de réduction de ses émissions de GES à l’horizon 2020. A l’échelle de l’Europe, les émissions de méthane dues aux ruminants et de protoxyde d’azote (N2O) liées à la fertilisation azotée sont compensées par les puits de carbone formés par les prairies et les forêts. Les émissions nettes (sources moins puits) de l’ensemble des cultures, des prairies, des forêts et des tourbières sont donc nulles. Une intensification des pratiques agricoles et une exploitation accrue des forêts pourraient néanmoins faire de cet ensemble un émetteur net à l’avenir.

LE MODÈLE FRANÇAIS, C’EST LA DIVERSITÉ

La recherche agronomique apporte de nouvelles pistes pour limiter les émissions. En matière de réduction des émissions de N2O, les recherches visent à améliorer l’efficacité de l’utilisation de l’azote à l’échelle des cultures et des systèmes de culture, en intervenant sur le fonctionnement des processus microbiens impliqués dans les émissions de N2O. Pour le stockage de carbone dans les sols, la protection des puits de carbone existants, l’augmentation des apports de matière organique au sol (couverture des sols, résidus, amendements) et la réduction des exportations sont autant de pistes. Un autre exemple est celui de l’alimentation des ruminants, pour laquelle les scientifiques cherchent à moduler la composition en lipides de la ration. Enfin, la valorisation des effluents et de la biomasse est à l’étude, pour produire chaleur et électricité à partir de la digestion anaérobie de divers résidus organiques issus de l’agriculture.

Le SIA a choisi de célébrer cette année ce qu’il appelle « le modèle français » ; alors que la PAC européenne est l’objet de toutes les interrogations, qu’est-ce qui, pour la scientifique que vous êtes, mérite d’être retenu et préservé dans un tel modèle ?

Le modèle français, c’est la diversité : diversité des agricultures, diversité des races animales, diversité des paysages, etc. Il se conjugue aussi bien à la consommation qu’au niveau de la production. À la demande, il se caractérise par des comportements de consommation alimentaire variés dans l’espace (avec de nombreuses spécificités régionales) et tout au long de l’année, rythmés par les trois repas du petit-déjeuner, du déjeuner et du dîner. Bien que pays de la « bonne chère », la surnutrition et les maladies qui lui sont liées, notamment l’obésité, sont moins présentes en France.

Quant à l’offre, il serait plus exact de parler de modèle agricole européen défini par des structures d’exploitation relativement modestes, à dominante toujours familiale, réparties sur l’ensemble des territoires. Cette agriculture familiale et diversifiée peut être source de faiblesses, notamment en matière de coûts de production, mais aussi une richesse, dans la mesure où elle permet d’offrir une gamme de produits et de services répondant aux attentes des consommateurs et des citoyens. De fait, un objectif majeur de la recherche est de définir un avenir pour cette agriculture en alliant maîtrise des coûts de production via, par exemple, le développement de pratiques plus économes en énergies ou en engrais, respect de l’environnement car il est clair que l’agriculture communautaire comme toute agriculture se doit d’améliorer sa performance environnementale, et répartition sur l’ensemble des territoires dans un objectif de développement des zones rurales. La PAC a clairement un rôle à jouer dans cette perspective en ciblant le développement d’un modèle agricole européen compétitif, respectueux de l’environnement et inséré dans les territoires et les paysages.

LE MODÈLE FRANÇAIS, C’EST LA DIVERSITÉ

PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTIAN DELAHAYE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8908