Le point de vue du Pr Laurent Letrilliart*

Diagnostiquer et soigner dans une approche centrée sur le patient

Publié le 19/09/2019

A rebours de la plupart des sociétés savantes, le Collège national des généralistes enseignants (CNGE), fut un des rares à qualifier l'an passé l'arbitrage du ministère de la santé de «décision politique forte et courageuse». Membre de son comité scientifique, ce professeur de médecine générale de l'Université de Lyon qui travaille sur les questions de déficits cognitifs depuis plusieurs années explique pourquoi. Et par quoi remplacer ces médicaments.

Crédit photo : DR

En octobre 2016, la Commission de la Transparence de la Haute Autorité de Santé (HAS, alors présidée par le Pr Agnès Buzyn) a réévalué défavorablement la balance bénéfice-risque des quatre médicaments ayant une indication dans le traitement de la maladie d’Alzheimer. L’annonce de leur déremboursement par la ministre de la Santé a suivi, ce qui était prévisible et attendu des praticiens et enseignants de médecine générale.

L’argumentaire de la HAS était basé sur une efficacité insuffisante (au-delà d’un « effet structurant » invoqué précédemment) et un risque d’effets indésirables non négligeable. Par exemple, la méta-analyse de 2016 du groupe Cochrane montrait une diminution moyenne à 6 mois du score d’évaluation cognitive par l’ADAS-Cog de 2,4 points sur une échelle de 70, inférieure aux seuils de pertinence clinique des agences du médicament européenne (3) et américaine (4).

Par ailleurs, ces médicaments n’ont pas d’effet démontré sur la qualité de vie, l’entrée en institution ou la charge de l’aidant. Ils génèrent en revanche des évènements indésirables fréquents et parfois graves, notamment digestifs, neuropsychiatriques et cardiovasculaires. Pour les patients encore traités par l’un de ces médicaments, il faut veiller à ne pas l’interrompre brutalement, en raison d’un risque de syndrome de sevrage.

Pas d'abandon du patient

Le renoncement au traitement médicamenteux ne doit pas signifier l’abandon des patients atteints d’un trouble neurocognitif majeur (alias démence) mais la mise en œuvre d’une stratégie de soins pluridisciplinaire. Ces patients ont davantage de comorbidités et de traitements médicamenteux, et requièrent une prise en charge somatique, psychique et cognitive globale. Le but est de favoriser leur autonomie pour permettre un maintien à domicile dans de bonnes conditions pour le patient et son aidant.

Outre les soins infirmiers et les aides à domicile, le recours ambulatoire à des compétences variées (psychomotricien, ergothérapeute, kinésithérapeute, orthophoniste, diététicienne, psychologue) pour valoriser les capacités restantes du patient, devrait être facilité et rendu plus lisible pour le médecin traitant. Les services relais pour l’entourage (accueil de jour ou hébergement temporaire) et certains soins spécifiques (musicothérapie, aromathérapie, activités récréatives) méritent d’être développés. Malgré les difficultés méthodologiques, ces stratégies non médicamenteuses devraient être évaluées rigoureusement.

La formation des professionnels de santé devrait favoriser la définition et la mise en œuvre de plans de soins personnalisés basés sur des objectifs partagés avec le patient et son aidant. Les professionnels de santé ont aussi un rôle à jouer dans la déstigmatisation de la maladie. L’approche doit être centrée sur le patient dès la phase du diagnostic de la maladie. Il existe maintenant une stratégie nationale de diagnostic des troubles cognitifs, établie par le Collège de la médecine générale et la Fédération des centres mémoires.

La difficile question du diagnostic

Le diagnostic intervient néanmoins dans un contexte d’incertitude, présent en soins primaires mais aussi en consultation mémoire, d’autant plus que le diagnostic est précoce. Il existe en effet des diagnostics de maladie d’Alzheimer par excès et par défaut, ainsi que de fréquentes formes mixtes (notamment avec une origine partiellement vasculaire). Le choix du moment opportun pour le diagnostic et pour une éventuelle orientation vers une consultation mémoire devrait faire l’objet d’une décision partagée entre le médecin traitant et le patient et éventuellement son entourage.

Au-delà de l’anosognosie, les personnes atteintes de troubles cognitifs ont tendance à éviter le plus longtemps possible de s’inscrire dans un parcours de soins formalisé, afin de préserver leur indépendance. Et en pratique, les données de consultation montrent que les plaintes cognitives auprès des médecins généralistes ne sont pas si fréquentes qu’on pourrait l’imaginer. À l’inverse, il n’y a pas de raison que certains patients consultent directement dans les centres mémoire, ce qui peut paradoxalement allonger le délai de consultation pour les patients adressés par leur médecin traitant.

L’absence de traitement curatif justifie d’encourager la prévention chez les séniors, en limitant l’influence des facteurs de risque modifiables, afin de retarder la survenue de troubles cognitifs. Il s’agit notamment des facteurs nutritionnels (alimentation, activité physique), des activités intellectuelles et interactions sociales, des facteurs de risque cardiovasculaires et des prescriptions à risque iatrogénique (psychotropes, anticholinergiques).

* Pr Laurent Letrilliart, médecin généraliste, Faculté de médecine Lyon Est, EA 7425 HESPER (Health Services and Performance Research), Université Claude Bernard Lyon 1.

Source : lequotidiendumedecin.fr