Le point de vue du Pr Marie Sarazin*

Lutter contre la méconnaissance et les a priori

Publié le 19/09/2019

Comme nombre de gériatres et de neurologues, la responsable de l'unité de neurologie de la mémoire et du langage de l'Hôpital Sainte-Anne à Paris avait contesté l'an passé le déremboursement des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase. Elle n'a pas changé d'avis. Et si elle convient qu'il s'agit de traitements symptomatiques, elle conteste leur classement en service médical rendu insuffisant par les experts de la HAS et souligne leur absence d'effets secondaires.

Crédit photo : DR

Depuis l’été 2018, les traitements de la maladie d’Alzheimer ne sont plus remboursés en France. Alors qu’il s’agit d’une maladie grave, évolutive et incurable, le coût des traitements est désormais à la seule charge financière des familles. On aurait pu s’attendre à de nombreuses réactions de protestations, d’indignations, de réactions militantes des malades, mais étonnamment la décision du déremboursement n’a eu que peu d’écho médical et médiatique. Pourtant en juin 2018, alors que l’HAS affirmait la non pertinence clinique des traitements, son équivalent anglais, l’organisme NICE, maintenait ses recommandations en faveur des médicaments tout en précisant leur bénéfice médico-économique. L’association Alzheimer Europe réagissait aussi à la décision française en dénonçant une désinformation générale sur le sujet en France, en particulier sur le message largement diffusé d’une dangerosité des traitements alors qu’aucun effet indésirable significatif grave n’a été identifié par le système de pharmacovigilance.

Pour comprendre, reprenons rapidement les enjeux scientifiques et médicaux.

La maladie d’Alzheimer s’accompagne d’une mort neuronale, notamment des neurones cholinergiques. Ce déficit cholinergique apparaît très précocement et ne fait que s’aggraver avec l’évolution. Les traitements de la maladie visent à suppléer ce déficit cholinergique par des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase (I-AChE). Ces traitements sont dits symptomatiques (non curatifs) car ils n’agissent pas sur les causes de la mort neuronale mais simplement sur une des facettes des conséquences de la perte synaptique. Tous les essais thérapeutiques et les méta-analyses se sont avérés positifs, que ce soit au stade léger, modéré ou sévère de la maladie.

HAS : des outils cliniques imposés par la FDA

Les experts de l’HAS ne contestent pas d’ailleurs la positivité des essais mais leurs significations. Ils estiment que le service médical rendu est insuffisant pour maintenir leur remboursement, leur efficacité étant jugée trop faible pour en justifier le coût. Comme argument, le faible écart de point mesuré entre les groupes traités et placébo par les tests cognitifs. Cet argument n’est pourtant qu’un parti pris. En effet, les essais thérapeutiques ont été menés avec des outils cliniques imposés par la FDA, associant une échelle cognitive et d’évaluation fonctionnelle (autonomie). Or leur capacité à mesurer une évolution de la maladie en 1 an est faible : la perte de point annuelle du MMS est entre 0 à 4 points en 1 an et celle de l’ADAS-cog (échelle globale cognitive d’un maximum de 70 points) seulement de 4 à 8 points (une perte de 3 points à 1 an est considérée comme un indicateur significatif clinique évolutif (*). Ainsi, pour mesurer un bénéfice clinique de 30 % ou même 50 % après 6 mois de traitement, on ne peut atteindre une amplitude d’écart de point importante. Le fait que les essais soient positifs malgré les limites des échelles utilisées est donc un argument qui plaide pour le traitement et non l’inverse. Rappelons aussi que les traitements cholinergiques n’ont pas la capacité d’agir directement sur les capacités de mémorisation. L’amnésie persiste malgré le traitement. Ils agissent sur les capacités attentionnelles et certains désordres psycho-comportementaux.

Concernant les effets secondaires des I-ACE, il faut bien sûr vérifier la tolérance cardiaque chez les sujets à risque ou sous bêtabloquant, mais comme dit précédemment, aucun signalement de pharmacovigilance n’a été rapporté ni aucun effet indésirable significatif dans les essais menés chez les malades à risque vasculaire (démence vasculaire).

L'Alzheimer n'est pas une fatalité

Mes propos ne sont pas isolés, ils sont ceux tenus pas tous les spécialistes de la maladie. C’est pourquoi un recours a été déposé au Conseil d’Etat par les sociétés savantes et par l’association France Alzheimer en juillet 2018 dont on attend la réponse.

Depuis un an, les malades, quand ils peuvent en supporter le coût (les prix des médicaments désormais libres ont eu tendance à augmenter) poursuivent le traitement. En cas d’arrêt thérapeutique, le risque d’aggravation clinique n’est pas anecdotique (**). En pratique, c’est le plus souvent lors de l’entrée en EHPAD que les I-AChE sont stoppés. Parfois sans même prévenir les familles, qui nous appellent, désemparées, face à l’aggravation de leurs proches.

Pour finir, il me semble que ce que révèle la décision de l’HAS et le peu de protestation qui a suivi est le reflet d’une méconnaissance de la maladie masquée par de nombreux aprioris. Il est vrai que, en raison même de leur maladie, nul risque de voir un malade militant sur le plateau du 20h pour défendre ses soins. Notre rôle est de témoigner en leur nom. L’Alzheimer n’est pas une fatalité. Le diagnostic est délicat, l’évolution est complexe et hétérogène entre les malades. C’est par la formation médicale et les échanges entre spécialités que nous contribuerons à regarder le patient Alzheimer comme un sujet malade sans le stigmatiser dans des préjugés erronés, et laisser aux traitements médicamenteux la place qu’il leur revient. D’autant plus que le bénéfice thérapeutique permet d’optimiser la participation du patient aux soins non pharmacologiques qui sont systématiquement proposés.

* Schrag et al, 2012
** Il est possible de déclarer au centre de pharmacovigilance les effets négatifs du sevrage cholinergique.

* Pr Marie Sarazin, neurologue, GHU Paris Psychiatrie & neurosciences, Université de Paris, Unité mixte de recherche BioMaps, Inserm/CEA, Orsay.

Source : lequotidiendumedecin.fr