Pénibilité au travail

Compenser ou prévenir, il faut choisir

Publié le 02/06/2014
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Crédit photo : PHANIE

Il n’est pas possible de définir de manière univoque la pénibilité au travail, une notion qui, au cours des derniers mois, a largement alimenté le débat autour de la réforme des retraites. « Cette question est à la fois au cœur de l’agenda social mais aussi de la réflexion scientifique menée dans le champ de la santé au travail. Et il existe en fait plusieurs notions différentes qu’il est important de distinguer », souligne le Pr Gérard Lasfargues, directeur général adjoint scientifique de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), auteur en 2005 d’un rapport sur ce sujet (1).

Le problème de la pénibilité au travail pose d’abord la question de la compensation pour les salariés concernés. Le sujet est d’actualité : on attend, en juin prochain, la publication des décrets instaurant le compte de prévention de la pénibilité, prévu dans la réforme des retraites. « Dans le cas présent, la pénibilité est vue sous l’angle de la compensation et des conditions de travail susceptibles d’avoir un effet à long terme sur la santé et sur l’espérance de vie sans incapacité », souligne le Pr Lasfargues.

Mais il existe une autre notion de pénibilité au travail. « Il s’agit de celle qui concerne des salariés ayant une santé déficiente et qui, de ce fait, vont être confrontés à un travail qui va se révéler pénible pour eux. Dans ce cas, il y a une nécessité de mettre en place des actions ciblées de prévention ou de protection via, par exemple, la médecine du travail », indique le Pr Lasfargues, en évoquant dans la foulée un troisième concept. « C’est celui que j’avais appelé, dans mon rapport, la pénibilité vécue ou ressentie par le salarié. Cette pénibilité ne va pas forcément avoir un impact à long terme sur la santé mais va rendre le travail au quotidien difficile à vivre pour le salarié concerné. L’exemple type, ce sont les facteurs de risque psychosociaux au travail ».

Pour le Pr Lasfargues, il est important de bien distinguer ces différentes notions. « La finalité, derrière, n’est pas la même. Dans le cas de la compensation, avec ces décrets, l’objectif est d’établir de grands critères interprofessionnels, par branche et des seuils simples et faciles à utiliser par les employeurs pour faire fonctionner le compte de prévention de la pénibilité. Dans le deuxième cas, l’objectif est d’examiner les conditions de travail et d’évaluer les risques dans une logique de prévention », indique le Pr Lasfargues, en prenant comme exemple le travail de nuit. « Pour la compensation, on va fixer un seuil avec un certain nombre de jours travaillés la nuit au-delà duquel on estimera que l’activité est pénible. Il s’agira d’un seuil juridico-technique qui sera soumis au débat des partenaires sociaux. Mais il ne s’agira pas d’un seuil véritablement scientifique, très difficile à établir dans ce cas précis. Il est en effet très complexe d’établir une relation entre le travail de nuit et les effets sur la santé à long terme. De nombreux paramètres entrent en ligne de compte : le nombre de nuits travaillées, la question des horaires (fixes ou décalés), les jours de pause accordés entre les nuits au travail, les facteurs individuels (chronotype de la personne)... Ce sont tous ces paramètres qui devront être pris en compte notamment par la médecine du travail pour proposer une action de prévention ciblée et pertinente ».

D’après un entretien avec le Pr Gérard Lasfargues, directeur général adjoint scientifique de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

(1) Lasfargues G. Centre d’études et de l’emploi 2005. Départs en retraite et travaux pénibles.

Antoine Dalat

Source : Le Quotidien du Médecin: 9331