Parmi les nombreuses atteintes oculaires d’origine infectieuse, les plus superficielles sont les plus fréquentes.
Blépharites : de l’infection à l’inflammation
Les blépharites sont liées à un dysfonctionnement meibomien, qui favorise la prolifération de la flore saprophyte, provoquant une inflammation, qui contribue à bloquer les orifices des glandes de Meibomius, majorant la sécheresse oculaire, terrain propice à la surinfection. « Les infections palpébrales peuvent être sévères, avec en particulier un risque d’atteinte cornéenne en cas de S. epidermidis ou de C. acnes, susceptibles de provoquer des infiltrats catarrhaux ou des kératoconjonctivites (KC) phlycténulaires », prévient le Pr Christophe Baudouin (Quinze-vingts).
Le traitement repose sur les antibiotiques — cyclines, azithromycine — contre les bactéries, et sur l’huile de l’arbre à thé et l’ivermectine contre le Demodex. Il doit absolument être associé à une prise en charge du dysfonctionnement meibomien : hygiène du rebord palpébral, utilisation de masques chauffants pour liquéfier les sécrétions, substituts lacrymaux. De nouveaux traitements locaux s’avèrent intéressants, comme la lumière pulsée ou la luminothérapie à basse intensité, qui aurait un effet anti-infectieux.
Conjonctivites bactériennes, trompeuses chez l’enfant
Les conjonctivites infectieuses sont fréquentes et seraient plus souvent bactériennes chez l’enfant que chez l’adulte, mais elles peuvent passer inaperçues devant une symptomatologie banale. On peut être orienté vers une conjonctivite bactérienne, par son apparition rapide ou la présence de sécrétions purulentes, qui nécessitent dans ce cas un prélèvement. Les bactéries en cause sont le plus souvent des staphylocoques, S. pneumoniae, H. influenzae, mais aussi Chlamydia trachomatis et N. gonorrhoeae, en lien avec une IST. Des Gram- peuvent être en cause, en particulier chez les porteurs de lentilles.
Après l’âge de deux ans et en l’absence de critères de gravité, les lavages pluriquotidiens au sérum physiologique associés à un collyre antiseptique suffisent. Le traitement par collyre antibiotique peut être parfois difficile à appliquer chez le petit enfant. « Un impératif, que la conjonctivite soit bactérienne ou virale : il faut veiller à briser la chaîne de contamination main/œil », avertit la Pr Catherine Creuzot-Garcher (Dijon).
Conjonctivites virales : l’adénovirus, le cauchemar de l’ophtalmologiste
L’adénovirus est la première cause de conjonctivite infectieuse. Le risque d’épidémie est grand, vu sa résistance à la plupart des détergents et une virulence persistant plusieurs semaines. Selon les sérotypes en cause, il se présente sous la forme d’une conjonctivite folliculaire simple, d’une kératoconjonctivite (KC), d’une atteinte adéno-pharyngo-conjonctivale fébrile.
Après une incubation de deux à 12 jours, la phase infectieuse contagieuse dure deux à trois semaines, se manifestant par une conjonctivite folliculaire avec ou sans pétéchies, une adénopathie prétragienne ou sous-angulomandibulaire ou des formes sévères, avec pseudomembranes ou ulcères cornéens. La maladie peut alors guérir ou laisser persister une phase immunitaire, non contagieuse, qui peut durer plusieurs années, assortie d’opacités sous-épithéliales, photophobie, baisse progressive de l’acuité visuelle. Des séquelles sont possibles : fibrose conjonctivale parfois sévère, sécheresse oculaire persistante, rarement des cicatrices sous-épithéliales avec gêne visuelle persistante.
« Il est essentiel de prévenir l’épidémie, par limitation des contacts, décontamination, utilisation de matériel à usage unique, etc. », insiste le Pr Antoine Rousseau (Le Kremlin-Bicêtre).
En phase aiguë, on recourt au lavage oculaire avec des antiseptiques, éventuellement pelage des pseudomembranes et des corticoïdes (CS). On dispose à nouveau de la povidone iodée, virucide efficace contre les ADV, utilisée diluée en traitement minute, mais non encore disponible sous forme de collyre. Elle réduit la durée des symptômes et la probabilité d’apparition de formes sévères. En phase immunitaire, on ne traite qu’en cas de symptômes, par des CS éventuellement associés à des immunosuppresseurs.
Kératites bactériennes et fongiques, potentiellement très graves
On recense 5 000 cas de kératites bactériennes ou fongiques par an, la plupart du temps liées au port de lentilles de contact. « Il faut savoir hospitaliser et réaliser des prélèvements devant des signes de gravité locaux : effet Tyndall (particules en suspension dans la chambre antérieure), lésion de plus de 2 mm, située à moins de 3 mm de l’axe optique », rappelle le Pr Nacim Bouheraoua (Quinze-vingt).
Des signes de gravité locaux indiquent une hospitalisation
Les formes cliniques sont évocatrices du germe en cause.
En l’absence de signes de gravité, chez les porteurs de lentilles on traite par ofloxacine (Gram-) ou tobramycine (staphylocoques méthyl résistants) ; chez les autres, par ofloxacine ou rifamycine (Sarm, streptocoques), toutes les heures pendant 48 heures. La corticothérapie n’est possible qu’en cas d’amélioration, après 48 heures pour les Gram+ et quatre à cinq jours pour les Gram-.
Dans les formes graves, les collyres sont à base de pipéracilline (Gram-), vancomycine (Gram+), gentamycine (Gram- et Gram+). Les CS sont prescrits dans les mêmes conditions que précédemment, et uniquement si le germe a été identifié. Ils sont contre-indiqués dans les kératites amibiennes ou fongiques.
Quant aux kératites fongiques, elles sont traitées à la phase débutante par des collyres à base d’amphotéricine B et de voriconazole ; dans les formes profondes, on peut associer voriconazole ou fluconazole per os, pendant six semaines et jusqu’à plusieurs mois en fonction de l’évolution et de la sévérité. Les CS sont contre-indiqués en phase aiguë.
Kératites herpétiques et zostériennes : le défi de la résistance
Qu’il s’agisse de l’HPV ou du virus de la varicelle zona (VZV), leur réactivation donne des tableaux assez semblables au niveau cornéen. Les différentes formes cliniques (atteinte épithéliale, stromale, endothéliale, kérato-uvéite, neurotrophique) résultent de l’association à des degrés divers de différents mécanismes physiopathologiques (réplication virale, réaction inflammatoire, altération du neurotropisme provoquant une anesthésie de la cornée).
Le diagnostic repose sur la PCR.
Le traitement dépend du mécanisme : antiviraux contre la réplication virale, CS et immunosuppresseurs contre l’inflammation, facteurs de croissance, neurotisation (transfert d’un nerf sain ou d’un greffon nerveux à la cornée) en cas d’altérations du neurotropisme. Ce traitement vise aussi à prévenir les récidives.
« Mais la lutte contre les infections à VVZ est un long combat, entre innovations thérapeutiques et adaptation du virus à ces innovations », remarque le Pr Rousseau. Ainsi, les années 1980 ont vu se développer des antiviraux efficaces, ainsi que le vaccin contre la varicelle, mais des VZV résistants ont fait leur apparition à la fin des années 1990. Puis on s’est aperçu que la prophylaxie au long cours, efficace vis-à-vis des récurrences, favorisait la résistance aux antiviraux. De même, la vaccination contre la varicelle a montré qu’elle augmentait les récurrences du zona, d’où le développement d’un vaccin anti-zona. « Actuellement, un nouvel antiviral, l’amenamevir, semble prometteur et on attend le développement d’un vaccin antiherpétique », indique le spécialiste.
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