Une révolution thérapeutique… à poursuivre

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Publié le 06/05/2022
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L'arrivée de Kaftrio dans l'arsenal thérapeutique de la mucoviscidose est saluée par les patients et les médecins. Mais des besoins restent non couverts et d'autres émergent avec l'augmentation de l'espérance de vie.
Grâce aux nouveaux traitements, cette maladie n’est plus seulement pédiatrique

Grâce aux nouveaux traitements, cette maladie n’est plus seulement pédiatrique
Crédit photo : Phanie

Depuis la fin du mois de mars, le médicament Kaftrio (ivacaftor/tézacaftor/élexacaftor) est autorisé en accès précoce pour les patients de 6 à 11 ans par la Haute Autorité de santé (HAS). Il rejoint Kalydeco (ivacaftor) dans l’arsenal des traitements de la mucoviscidose des jeunes patients hétérozygotes pour la mutation F508del du gène CFTR ou d’une mutation de ce même gène à fonction minimale. Ce médicament était déjà remboursé depuis juillet 2021 pour les plus de 12 ans. En pratique, Kaftrio est toujours associé à l’ivacaftor seul, car, contrairement au tézacaftor et à l’élexacaftor, l’ivacaftor doit être administré en deux prises par jour.

C’est une excellente nouvelle pour le Dr Pierre Foucaud, ancien chef du service de pédiatrie-néonatologie du centre hospitalier de Versailles et président de Vaincre la Mucoviscidose : « Les effets sont spectaculaires, avec une élimination de la toux en quelques jours, s’émerveille-t-il. Ces molécules ont changé la vie des patients… mais ce n’est pas un médicament miracle. » Tous les malades ne sont en effet pas concernés, et le vieillissement de la population fait émerger de nouvelles problématiques.

Deux fois moins de greffes du poumon

Selon les donnés 2020 du registre français de la mucoviscidose, l’introduction de la trithérapie Kaftrio (disponible dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation [ATU] ou d’essais cliniques à ce moment-là) a coïncidé avec une diminution de 50 % du nombre de transplantations pulmonaires. Le nombre de cures d’antibiotiques par voie intraveineuse a diminué de 21 %.

En juillet dernier, le groupe d’étude du réseau des centres de ressources et de compétences de la mucoviscidose (CRCM) a publié les premières données françaises (1) sur l’effet de la trithérapie élexacaftor/tézacaftor/ivacaftor dans une cohorte de 245 patients de plus de 12 ans. Trois mois après l’initiation du traitement, le rapport volume expiratoire maximal par seconde (VEMS)/capacité vitale forcée (CVF) était amélioré en moyenne de 15,1 % et le gain de poids moyen était de 4,2 kg. Le nombre de patients nécessitant le recours à une oxygénothérapie de longue durée, une ventilation mécanique non invasive ou une alimentation par voie entérale a diminué de respectivement 50 %, 30 % et 50 %.

Mais, parmi les 16 patients sur liste d’attente pour une greffe de poumon et les 37 qui avaient déjà initié une prise en charge prégreffe, seulement deux ont été greffés, et un est décédé. À la date de la publication de l’étude (septembre 2020), seulement 5 patients étaient toujours considérés pour une transplantation.

Une efficacité à long terme à évaluer

L’efficacité à long terme des modulateurs de CFTR chez les enfants est en cours d’évaluation dans le cadre de la cohorte observationnelle nationale Modul-CF entamée en 2020 et portée par la Pr Isabelle Sermet du CRCM de l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP). « Il y a un certain nombre d’effets secondaires connus et d’autres qui émergent, insiste le Dr Foucaud. Pour l’instant, ils semblent permettre la poursuite du traitement, mais on manque de recul. » Par ailleurs, si les patients sévères bénéficient d’une forte amélioration, les médecins ne savent pas à quoi s’attendre sur le long terme pour des patients jeunes encore peu sévères.

Kaftrio et Kalydeco ne couvrent pas 100 % des besoins des malades. Au CRCM de l’hôpital Robert-Debré (AP-HP), un quart des enfants sont porteurs de mutations rares (autres que la F508del) ou ne sont pas éligibles aux nouveaux modulateurs de la CFTR pour d’autres raisons, souligne la Pr Véronique Houdouin qui dirige le centre.

Pour ces patients, les pistes envisagées sont la thérapie génique et les traitements basés sur l’utilisation de l’ARNm. « On parle aussi de molécules composites destinées aux patients chez lesquels la protéine est incomplète à cause de la présence d’un codon stop au milieu du gène », ajoute Paola de Carli, directrice scientifique de l’association Vaincre la Mucoviscidose. Ces molécules jouent le rôle de translecteur, c’est-à-dire qu’elles sont capables de « sauter » le codon stop et de poursuivre normalement la production de la protéine.

Mais même chez les patients éligibles au traitement, des interrogations demeurent : « On ne connaît pas vraiment les mécanismes d’action de ces médicaments », reconnaît Paola de Carli.

Pathologies émergentes

Toujours est-il que, sous l’effet des nouveaux traitements, la mucoviscidose n’est plus une maladie uniquement pédiatrique. L’âge médian des patients est désormais de 22 ans (+6 mois comparés à 2019) et l’âge médian des décès est de 33 ans (un an de plus que la moyenne des 5 années précédentes). L’allongement de la durée de vie des malades a fait croître le nombre de patients, passant de 1 500 en 1992, dont 17,8 % d’adultes, à plus de 7 000 en 2020, dont 59,7 % d’adultes. Depuis 2006, les grossesses chez des mères atteintes de mucoviscidose augmentent, s’élevant à 51 en 2020, dont 30 ont abouti à une naissance vivante.

Cette « transition démographique » n’est pas sans conséquence. Le réseau des CRCM voit émerger de nouvelles pathologies liées au vieillissement de leur file active. Les patients adultes développent ainsi des formes de diabète très particulières, des ostéoporoses, des douleurs articulaires et une intensification des troubles digestifs.

(1) P-R Burgel et al, American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine. DOI : 10.1164/rccm.202011-4153OC

D. C.

Source : Le Quotidien du médecin