Entretien avec le chef du service de psychiatrie à l’Hôtel-Dieu de Paris

Pr Cédric Lemogne : « Il faut distinguer l’anxiodépression post-Covid et les troubles somatoformes »

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Publié le 02/04/2021
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Dans ses recommandations sur les symptômes prolongés du Covid, la Haute Autorité de santé précise que l’exploration de troubles anxieux et dépressifs, de troubles fonctionnels et la proposition d’un soutien psychologique sont à envisager à toutes les étapes du suivi. Explications avec l’un des experts psychiatres du groupe de travail.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Que sait-on des troubles psychiatriques liés au Covid, en particulier dans ses formes longues ?

Pr CÉDRIC LEMOGNE : Il faut distinguer deux choses : les troubles psychiatriques classiques, notamment anxieux ou dépressifs, secondaires à un épisode de Covid, et les troubles somatoformes ou « à symptomatologie somatique ».

On constate une prévalence assez importante de symptômes anxieux chez les personnes consultant pour des symptômes physiques persistants ou récurrents après un épisode de Covid, en lien avec l’inquiétude ressentie par rapport à cette persistance, renforcée souvent par l’incertitude du corps médical. Peut aussi jouer le manque d’empathie perçu de la part de l’entourage, surtout lorsque les patients n’ont pas développé une forme sévère.

Par ailleurs, des arguments épidémiologiques suggèrent que les troubles anxieux et dépressifs seraient plus fréquents à l’issue d’un épisode de Covid qu’à l’issue d’autres épisodes de nature virale. Cela pourrait faire évoquer une physiopathologie biologique directe, en lien avec la nature neurotrope de ce virus. Mais il faut être prudent, tant d’autres facteurs non biologiques peuvent expliquer ces prévalences plus élevées.
Il reste important de repérer ces symptômes dépressifs et anxieux : pour les traiter, mais aussi parce qu’ils peuvent contribuer aux symptômes physiques rapportés.

Qu’en est-il des troubles somatoformes ?

Ils sont caractérisés par des symptômes physiques pénibles et invalidants, sans pour autant que l’on retrouve une explication évidente au niveau de l’organe ou du système désigné par les symptômes. Ils sont connus depuis longtemps et recouvrent de nombreuses entités définies par leurs symptômes (syndrome de fatigue chronique, fibromyalgie, etc.) ou, de façon plus problématique, par leur cause supposée (électrosensibilité, maladie de Lyme dite « chronique »).

On connaît de mieux en mieux les facteurs précipitant et pérennisant ces troubles somatiques fonctionnels. À commencer par des mécanismes de biais cognitifs : les patients vont avoir une perception amplifiée des symptômes liée à une focalisation attentionnelle non volontaire. On le voit par exemple chez des patients en rémission d’un cancer, qui vont être malgré eux très attentifs aux signaux suggérant
une métastase.

Il existe aussi des facteurs comportementaux qui entretiennent ces troubles : guidés par des représentations anxiogènes, les patients vont développer des comportements d’évitement (repos, arrêt de travail, immobilisation…). Or cela risque d’aggraver un déconditionnement physique, déjà provoqué par l’épisode de Covid.

Enfin, un troisième mécanisme entre en jeu : le sentiment de l’absence de considération de la communauté médicale ou de l’environnement professionnel et affectif. Alors l’enjeu se déplace : il passe de « j’aimerais être soulagé de mes symptômes » à « j’aimerais que ma souffrance soit reconnue ».

Quand les patients sont persuadés que leurs symptômes sont liés au Covid, y compris lorsque la sérologie est négative, il est difficile de les en dissuader. Il faut avant tout reconnaître la réalité des symptômes sans pour autant adhérer à une causalité univoque. Faute de cette reconnaissance par la médecine, le patient aura tendance, bien légitimement, à se tourner vers d’autres voies, associatives, voire politiques…

Quelle prise en charge proposer aux patients ?

Les patients qui souffrent de troubles dépressifs et anxieux peuvent être orientés vers un psychiatre ou un psychologue, si nécessaire.

Pour les troubles somatoformes, aucune spécialité médicale n’est particulièrement formée. La difficulté est de trouver des médecins (généralistes, internistes, rhumatologues, psychiatres, etc.) qui s’y intéressent. Un médecin qui inspire confiance et prend le temps d’écouter l’histoire du patient en repérant de possibles leviers d’action aura plus d’effet qu’une orientation vers un psychiatre.

Dans l’hypothèse d’un trouble somatoforme, il est essentiel de proposer un diagnostic positif (par exemple, trouble somatique fonctionnel) et d’expliquer les mécanismes sous-jacents aux symptômes ainsi que leur évolution spontanée. Puis lister les conduites d’évitement et réintroduire les comportements qu’on évitait est une étape importante, notamment le ré-entraînement progressif à l’effort.

À l’Hôtel-Dieu, une prise en charge multidisciplinaire est en cours de structuration pour les patients ayant des symptômes persistants post-Covid : un bilan somatique et psychologique aboutit à la proposition d’un parcours ambulatoire ou hospitalier avec prise en charge en médecine de réhabilitation par le sport.

Propos recueillis par C. G.

Source : Le Quotidien du médecin