Le dépistage du cancer bronchopulmonaire se met en place pas à pas

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Publié le 18/11/2022
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Ces deux dernières années, des études ont confirmé que le dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose diminuait le risque de décès. Ce qui a amené la HAS à encourager des expérimentations en vie réelle, avec notamment un programme pilote de l’Inca. Faire appel à l’intelligence artificielle pourrait aussi s’avérer intéressant pour la double lecture des scanners.

Un sevrage devra toujours être proposé au moment du dépistage

Un sevrage devra toujours être proposé au moment du dépistage

Le cancer du poumon (CP) touche plus de 46 000 nouveaux patients par an, et cause plus de 33 000 décès chaque année. Son dépistage est une action phare de la stratégie décennale de lutte contre le cancer. Plusieurs grands essais ont montré l’efficacité du scanner thoracique faible dose (TDMfd) dans ce but : NLST, une étude américaine sur 53 454 personnes, et Nelson, une étude néerlandaise sur 7 557 personnes, ont retrouvé une réduction de 20 à 39 % la mortalité spécifique. Néanmoins, le dépistage peut induire un risque de surdiagnostic, ainsi qu’un taux important de faux positifs, lequel peut être réduit par un protocole de suivi des nodules dits indéterminés.

Après son avis négatif de 2016, la HAS a changé son fusil d’épaule en 2021, en tenant compte de cette littérature ainsi que des recommandations et avis d’experts internationaux. Elle conclut désormais qu’il existe une certitude élevée sur l’intérêt du dépistage pour diminuer la mortalité et le nombre de CP découverts à un stade tardif ; en revanche, note-t-elle, les données sont moins probantes en ce qui concerne la capacité du dépistage à améliorer la détection à un stade précoce, et il reste à vérifier sa sensibilité et sa spécificité dans le contexte français.

L’Inca, pilote national

Avant de se lancer à grande échelle, la HAS a désigné l’Inca pour mener un programme pilote national. Celui-ci associe dépistage par TDMfd et aide au sevrage tabagique — car il n’est pas logique de réaliser un dépistage sans proposer un sevrage. Le travail tâchera de définir faisabilité de ce protocole, la population cible, la procédure de dépistage, sa qualité, la participation et le suivi, les éventuelles inégalités d’accès, les modalités de l’aide au sevrage tabagique, ainsi que le repérage des autres pathologies liées au tabac. « Il sera essentiel de vérifier en vie réelle les résultats sur la mortalité et la détection des tumeurs avancées, ainsi que les effets délétères liés à des faux positifs ou des surdiagnostics », souligne Florie Fillol, responsable projet département prévention Inca.

Une étude spécifique pour les femmes

De nombreux autres projets d’expérimentation du dépistage ont été lancés en France, à l’instar de l’étude Cascade (pour « dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose »), menée par l’Ap-Hp. Son originalité réside dans le fait qu’elle ne s’adresse qu’aux femmes, ce que justifie la situation épidémiologique très inquiétante en France, où l’incidence du CP augmente chez elles, tandis que toutes les études montrent que le bénéfice du dépistage est supérieur chez les femmes.

Cascade va inclure 2 400 femmes asymptomatiques, âgées de 50 à 74 ans, fumeuses actives ou sevrées (au moins 20 paquets-années). L’idée est de leur proposer le dépistage du CP en même temps que celui du cancer du sein, qui se fait au même âge et au même rythme.

L’étude est cofinancée par l’Inca et le ministère de la Santé, et se déroule dans quatre centres : Paris, Rennes, Béthune et Grenoble — pour ces trois dernières villes, dans des centres privés. La visite d’inclusion comporte une consultation avec un pneumologue formé à la tabacologie. Un des objectifs est de comparer les performances d’une lecture unique par un médecin non spécialisé formé au dépistage, versus le recours à l’intelligence artificielle comme seconde lectrice, avec le standard de référence, à savoir une double lecture par des experts — laquelle représente une option difficilement réalisable pour un dépistage sur une large population.

Par suite de la campagne médiatique, 1 080 femmes ont contacté l’équipe Cascade dans les trois premières semaines. Les données des 457 inclusions diffèrent de celles rapportées chez les hommes, avec 89 % de fumeuses actives — 75 % acceptent le principe d’une aide au sevrage — et 2,7 % de vrais positifs, soit bien au-dessus des 0,9 % de l’étude Nelson.  

« La mise en place de ce dépistage semble à certains trop lente, mais elle ne peut se faire qu’en validant chaque étape, explique la Pr Marie-Pierre Revel (hôpital Cochin). Le changement viendra certainement de l’Europe, puisque la commission européenne vient de préconiser à tous les pays de tester la faisabilité de TDMfd, en l’associant impérativement à sevrage tabagique, chez les fumeurs ou anciens fumeurs ayant arrêté depuis moins de 15 ans (au moins 30 paquets-années) et âgés de 50 à 75 ans. »

Exergue : « La mise en place semble trop lente à certains, mais elle ne peut se faire qu’en validant chaque étape »

Dr Maia Bovard-Gouffrant

Source : Le Quotidien du médecin