Les enfants du féminisme

La fin d'une masculinité hégémonique

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Publié le 12/05/2016
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Crédit photo : PHANIE

Le XXe siècle fut celui des femmes. Le siècle XX ! Ce siècle-là a permis l'avènement d'une nouvelle féminité. D'une guerre à l'autre, il a vu l'éclosion sociale des femmes. Puis vint la deuxième vague du féminisme, avec le droit pour les femmes de disposer de leur corps, de leur vie, de leur vie sexuelle. Mais que sont devenus les enfants de ces femmes qui défilaient dans les rues de New York, de Los Angeles, de Paris et d'ailleurs ? Selon la Dr Marie-Hélène Colson (Marseille), « ils ont grandi en fin de siècle avec la troisième vague de féminisme, inscrite en bruit de fond, et qui a définitivement imprimé l'idée du renversement des valeurs sexistes. Dans une période où tout est complexe, défragmenté, éclaté, dangereux, ils ont vécu la fin de la société traditionnelle, sexiste, figée, pour évoluer dans un monde qui cultive la différence, l'hétérogénéité, le métissage, la rapidité, l'image ». Tout change, rien n’est acquis. Il est difficile de grandir dans ce monde. Pour certains, l'humanité n'ira pas plus loin ; ce sont essentiellement les hommes qui le pensent, car nombreux sont ceux qui redoutent la fin de la masculinité. Il est évident que les notions de sexe fort et de sexe faible ne peuvent plus perdurer dans le monde d'aujourd'hui. La pensée paternaliste, hétérosexiste, qui provoque affrontements et guerres, ne peut plus avoir droit de cité.

 

Perte de l’évidence de la domination

 

Certains parlent de crise de la masculinité. Est-ce approprié ? Pour la Dr Colson, « il s'agit plutôt de la fin d'une masculinité hégémonique, d'une masculinité qui a perdu l'évidence de la domination. Être un homme aujourd'hui ne va plus de soi. Les hommes doivent renégocier ». Étonnamment, les fils des féministes, qui ont aujourd'hui entre 30 et 40 ans, ne se reconnaissent pas dans les images de domination, de contrôle, de dureté. Ils sont inaccessibles aux idées de leurs pères. Ils valorisent le partage des tâches et des responsabilités, ils sont à l'aise dans le bio, le métissage, la solidarité. « Ils sont les uns avec les autres et non pas les uns contre les autres », note la Dr Colson. En grande majorité, ils valorisent des valeurs humaines et émotionnelles, qui ne sont plus ces valeurs dites fortes qui dominaient auparavant. « On peut être l'homme le plus puissant de la planète et s'offrir le luxe de pleurer en public », souligne-t-elle.

 

Une confiance à reconstruire

 

Mais la sexualité de ces hommes ne serait-elle pas plus fragile ? Ce n'est pas totalement faux. L'étude EMOI, publiée en février 2016, révèle qu'un grand nombre d'hommes qui consultent pour éjaculation précoce se sentent ébranlés dans leur sentiment de masculinité. Ils hésitent à prendre l'initiative de la relation sexuelle, ils ont perdu confiance en eux en tant que partenaire sexuel. Selon différentes études épidémiologiques, un certain nombre d'hommes de moins 40 ans ont des dysfonctions érectiles en corrélation avec des traits anxieux et de manque de confiance en soi. L'étude d'Akre (1) révèle que la moitié des jeunes hommes de 18 à 25 ans souffrent d'éjaculation précoce ou d'une dysfonction érectile. En outre, la fertilité masculine est aujourd'hui en déclin (2).

Que disent les patients au sexologue ? « J'ai peur de pas être à la hauteur, pas assez puissant, j'ai peur de décevoir ». Ces hommes-là ont-ils bien compris quelle était la demande féminine ? « Peut-être pas, note la Dr Colson. Car, selon les paroles des femmes, le plus important n'est pas qu'il soit éjaculateur précoce ou autre, c'est qu'il prenne soin d'elles, plutôt que de se concentrer sur leur érection. C'est de ça qu'elles souffrent ». Car, dans un monde difficile, elles souhaitent valoriser le dialogue, la coopération et l'entraide.

Et rassurons les anxieux, le message de cent ans de féminisme est certes de ne plus subir la domination masculine, mais sans pour autant la remplacer par une domination féminine.

La masculinité, dans ce nouveau monde, la force et l'énergie masculine, il faut la mettre au service du bien-être de tous et non pas au service de la loi du plus fort. Beaucoup de dysfonctions sexuelles prennent naissance dans une idée obsolète de la sexualité. Il s'agit de reconfigurer l'idée de la masculinité : elle n'est pas en crise, elle a seulement besoin de passer à autre chose. Les sexologues peuvent être l'un des acteurs du changement en aidant à changer les représentations de la sexualité.

D'après la communication de la Dr Marie-Hélène Colson, médecin sexologue, directrice d'enseignement DIU de sexologie, Marseille

(1) Akre C et al. The evolution of sexual dysfunction in young men aged 18-25 years. J Adolesc Health. 2014 Dec;55(6):736-43

(2) Rolland M et al. Decline in semen concentration and morphology in a sample of 26,609 men close to general population between 1989 and 2005 in France. Hum Reprod. 2013 Feb;28(2):462-70

Dr Brigitte Martin

Source : Le Quotidien du médecin: 9495