Anorexie mentale

Et si le plaisir était à réapprivoiser

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Publié le 12/05/2016
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Crédit photo : PHANIE

Pathologie à forte prédominance féminine, l'anorexie mentale (AM) s'accompagne d'une souffrance psychique profonde et de conséquences somatiques souvent dramatiques, sans compter son handicap social et environnemental. C'est l'une des maladies mentales à la mortalité la plus élevée.

Il existe peu de travaux sur le fonctionnement psychosexuel de ces patientes, malgré la multitude des réflexions et des axes de recherche sur la pathologie. « Si on se réfère au modèle de Rosemary Basson (1) sur la réponse sexuelle féminine, il apparaît que des éléments tels que la réceptivité, l'état psychologique, le bien-être, la satisfaction corporelle, la qualité relationnelle, aussi bien que l'état biologique, sont susceptibles d'interférer avec la réaction sexuelle féminine, explique la Dr Nesrine Gaha (Villejuif). Il faut rappeler aussi que les patientes qui souffrent d'AM sont généralement en aménorrhée et à un stade hormonal comparable à un stade prépubertaire ».

Or les patientes qui souffrent d'AM présentent une altération de leur relation aux autres, une atteinte sévère de leur image, une grande difficulté avec l'intimité relationnelle et souvent des expériences passées négatives voire franchement traumatiques. En plus de la dénutrition et de la mise en sommeil de l'axe hypothalamo-hypophyso-gonadique, chacun de ces éléments psychopathologiques peut influencer la réponse sexuelle féminine. Les patientes ont donc toutes les raisons de présenter des dysfonctions sexuelles sévères. Celles-ci varient de l'aversion sexuelle à une désinhibition avec multiplication des conduites à risque.

 

Une sexualité souvent altérée

 

Afin d'observer les liens entre les dysfonctions sexuelles et la spécificité psychopathologique de cette maladie, une étude randomisée a été menée sur 100 patientes âgées de 15 à 39 ans hospitalisées pour AM sévère, restrictive pure (75 %) ou associée à des crises de boulimie et des conduites de purge (25 %). 83 % des patientes étaient en aménorrhée totale, 8 % avaient des cycles irréguliers et 8 % des cycles réguliers. Des échelles standardisées ont été utilisées pour évaluer différents paramètres cliniques.

L'attitude des patientes envers la sexualité a été évaluée : 41 % ont un rapport péjoratif à la sexualité (16 % rapportent un dégoût franc et 25 % un désintérêt). La notion de plaisir est retrouvée chez seulement 7 % des patientes. Seulement 15 % de ces patientes d'âge moyen de 20 ans ont eu des relations sexuelles dans les six derniers mois et une sur cinq qualifiait ces relations comme satisfaisantes sur le plan émotionnel et sexuel.

Des corrélations significatives ont été retrouvées entre la perturbation du fonctionnement psychosexuel, un niveau élevé de perfectionnisme, une insatisfaction de l'image du corps, une altération de l'estime de soi ainsi qu'une spanioménorrhée.

Cependant, la proximité psychopathologique de cette maladie avec les rouages de la sexualité féminine pouvait laisser présager d'un tableau bien plus dramatique avec des dysfonctions sexuelles bien plus marquées que celles retrouvées. Les auteurs suggèrent donc qu'une amélioration de la qualité de vie, une ouverture sexologique intégrée au parcours de soins des patientes souffrant d'AM, pourraient avoir des impacts majeurs sur l'estime de soi, l'image du corps et la réappropriation de la notion de plaisir… Même s'il n'est pas classique d'intégrer une prise en charge sexologique dans le suivi des patientes souffrant d'AM, et ce malgré la pluridisciplinarité articulée autour de la notion de plaisir dans la relation à soi, à l'autre, à l'alimentation.

Communication du Dr Nesrine Gaha, psychiatre, hôpital Paul Brousse, Villejuif

(1) Département de psychiatrie, université de Colombie Britannique

Dr Brigitte Martin

Source : Le Quotidien du médecin: 9495