L'histoire mouvementée du bénéfice-risque de la masturbation

Publié le 14/11/2015

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Forum des rumeurs

Si l’on faisait un hit-parade de la rumeur, celle-ci serait à coup sûr la championne toutes catégories, en mélangeant allégrement tabous familiaux, morales religieuses et pseudo-médecine. Elle serait aussi la plus brocardée, quand bien même elle garde ses relais, surtout, les plus âgés. La dénonciation médicale de l’onanisme enjambe les siècles. Son « pionnier » serait le médecin lausannois Samuel-Auguste Tissot (1728-1797), inoubliable auteur de « L’Onanisme ou Dissertation sur les maladies produites par la masturbation », qui statue sur l’étiologie, les symptômes et le traitement d’une pathologie dénoncée au départ par le discours religieux et qu’il médicalise à l’envi.

Au siècle suivant, l’Anglais Christoph Hufeland (1762-1836) développera la charge contre « l’onanisme moral, père de tous les vices ». Jusqu’au XXe siècle, où le Grand Larousse consacre un article aux « accidents très graves » liés à la masturbation : « troubles digestifs et nerveux, affaiblissement de la force musculaire et de l’intelligence, arrêt de la croissance, etc. » Si la surdité est THE risque majeur, la liste des effets du sexe en solo est quasi sans limite : perte de la vue, stérilité (par épuisement du stock de spermatozoïdes), troubles mentaux, interruption de la croissance, acné…

Zapping épidémiologique

Malgré les mises en garde assénées au long des âges, la pratique de la masturbation n’a pas molli : 90% des hommes et 60% des femmes s’y sont adonnés, selon l’enquête sur la sexualité des Français réalisée en 2007. Celle réalisée en 2009 (TNS-Sofres) indique que 70% des Français en tâtent, 21% rarement, 25% de temps en temps, 7% souvent. L’onanisme est loin devant la fellation (41% de pratiquants déclarés), ou le cunnilingus (57%).

Or, si son innocuité est aujourd’hui universellement reconnue, voilà que les études lui prêtent même depuis peu des bénéfices médicaux : des chercheurs du centre d’épidémiologie du cancer de Melbourne (Australie) ayant étudié entre 1994 et 1999 les activités sexuelles de 1 079 hommes atteints d’un cancer de la prostate et les ayant comparées à celles de 1 259 hommes en bonne santé ont conclu à l’effet protecteur de l’éjaculation. La masturbation permettrait donc de prévenir le risque d’apparition du cancer, le réduisant d’un tiers.

Zoom de l’expert

« Cette idée reçue qui associe masturbation et surdité n’a plus cours bien sûr chez les jeunes générations, où on observe une nouvelle association : sexe numérique, pornographie et masturbation, constate le Dr Catherine Solano, sexologue, consultante à l’hôpital Cochin. Beaucoup d’adolescents confondent même les termes. Cette habituation aux images pornographiques peut entraîner un effet indésirable, avec une éjaculation rapide et on aurait donc une pratique de l’onanisme qui prédisposerait à l’éjaculation précoce avec la partenaire. »

« Pour autant, rien n’est prouvé. J’ai même quelques patients qui m’ont indiqué, au contraire, qu’ils traitaient leurs éjaculations précoces en s’exerçant par une masturbation lente et tranquille, avec de bons résultats. »

« A la rubrique des effets indésirables, je relève cependant des complications dans la vie de couple, la femme ne comprenant pas que son partenaire s’y adonne, alors que c’est tout bonnement une manière de réguler le différentiel de rythme d’activités sexuelles entre l’homme et la femme. »

« Il reste évidemment le cas de la masturbation dite compulsive ; elle peut entraîner des situations catastrophiques. Je suis par exemple un avocat qui se masturbe une douzaine de fois par jour, jusqu’à compromettre son travail. On est là devant une pathologie qui relève davantage de la psychiatrie que de la sexologie, avec des dommages quand même moindres que l’alcoolisme, pour ne citer que cette autre addiction. »

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Ch. D.

Source : lequotidiendumedecin.fr