Évolution de la législation sur la fin de vie

Trois médecins confient leurs attentes à la lumière de leur expérience

Publié le 17/03/2014
Article réservé aux abonnés

Derrière les « affaires » Vincent Humbert en 2003, Chantal Sébire, en 2008, et Vincent Lambert aujourd’hui, existent des médecins qui ont accompagné leurs patients en vertu de leur art et de leur déontologie : les Drs Frédéric Chaussoy, alors chef du service de réanimation du centre héliomarin de Berck-sur-Mer, Emmanuel Debost, généraliste, et Éric Kariger, chef du service de soins palliatifs du CHU de Reims.

Les situations auxquelles ils ont été confrontés sont si exceptionnelles que ni la société ni le législateur ne sont restés muets. L’histoire de Vincent Humbert, qui demanda à Jacques Chirac un droit à mourir après être devenu tétraplégique, s’est conclue par l’adoption de la Loi Leonetti du 22 avril 2005. Le suicide de Chantal Sébire, atteinte d’un esthésioneuroblastome, a précédé le programme de soins palliatifs 2008-2012. Et le destin de Vincent Lambert, victime d’un accident de moto qui l’a plongé dans le coma il y a quatre ans, se joue devant le Conseil d’État alors qu’une loi sur la fin de vie est en préparation.

Interrogés par le Quotidien, les trois médecins défendent l’idée que la mort fait partie de la vie et partant, que leur rôle de médecin n’est pas de sauver la vie coûte que coûte, parfois au prix d’une obstination déraisonnable, mais de respecter une personne. « On nous a dénié la mort. Mais il faut parfois penser que le "cure", le "toujours plus", n’est pas la bonne réponse pour préserver la dignité », explique le Dr Kariger.

Consensus autour de la loi 2005.

Tous saluent la loi Leonetti en ce qu’elle lutte contre l’obstination déraisonnable, sanctuarise la collégialité de la décision, protège les médecins et instaure les directives anticipées (DA). « Elle m’aurait aidé à l’époque de Vincent Humbert qui avait écrit ses volontés et autour de qui il y avait une décision collégiale. Aujourd’hui, elle nous permet de travailler correctement », déclare le Dr Chaussoy. Le Dr Kariger se félicite que le Conseil d’État ait validé la lecture que son équipe a faite de cette loi. La haute instance a en effet jugé que les patients en fin de vie ne sont pas les seuls concernés par la loi Leonetti, et que l’hydratation et la nutrition artificielles peuvent être considérées comme des traitements (et non des soins de base) susceptibles d’être arrêtés pour éviter tout acharnement thérapeutique.

À la lumière de la situation de son patient, qui n’avait pas rédigé ses volontés par écrit, ni n’avait désigné de personne de confiance, le Dr Kariger invite ses 200 000 confrères, en particulier les médecins de famille, à ouvrir la discussion. Le Dr Chaussoy partage cet avis : « On fait bien un testament, on donne des consignes pour être enterré ou incinéré. Mais il faut aussi préciser comment on voit sa fin ». Tout en étant sur la même lignée, le Dr Debost note que ce n’est pas si simple d’aborder de but en blanc la fin de vie : « Je reconnais que je n’en parle pas à tous mes patients. Il faudrait un mouvement d’ensemble », indique-t-il.

Le plaidoyer pour les DA n’est pas sans nuance ; en particulier, les médecins ne sont pas favorables à leur opposabilité, comme l’a suggéré le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). « Je crois à la responsabilité du médecin : son rôle est de pondérer ces DA, intellectuellement fortes, en les intégrant dans un tout, comprenant la souffrance et le ressenti du malade, de la personne de confiance, des proches, et les avis des médecins », explique le Dr Kariger.

Jusqu’où légiférer ?

La loi Leonetti ne solutionne pas toutes les apories. Elle ne résout pas le conflit familial qui se cristallise au chevet de M. Lambert. Elle ne répondait pas non plus aux demandes de Chantal Sébire et de Vincent Lambert. Jusqu’où doit aller la future loi sur la fin de vie ?

« Il y a en France 570 000 décès par an, et 100 000 arrêts et limitations de traitement. Notre arsenal juridique et technique est suffisant pour 99,99 % des cas. Pour le reste, faut-il une loi ? », s’interroge, sceptique, le Dr Kariger. Plutôt que d’inscrire dans le marbre un « permis de tuer » qu’il juge contraire aux règles humanistes et sociales de base, il préfère s’en remettre à la responsabilité du médecin. Lui qui « par conviction » est « contre l’euthanasie active », mais « ouvert en éthique », n’a jamais pratiqué d’euthanasie ; pourtant, il n’exclut pas de « pouvoir le faire » dans une situation d’exception, en prenant toutes les garanties, dans le cadre d’une procédure collégiale, et en étant prêt à s’expliquer devant « (s)es juges, (s)es pairs, et à titre personnel, (s)on dieu ».

Le Dr Chaussoy a, lui, passé le pas une fois en injectant du chlorure de potassium à son patient qui demandait la mort. Il a été mis en examen pour empoisonnement avec préméditation et obtenu un non-lieu. Il assume aujourd’hui l’intentionnalité qui fut la sienne, et souhaiterait éventuellement, que dans des situations particulières, « on puisse accompagner tous les patients y compris ceux dans un état végétatif chronique » par une sédation terminale, (qu’a proposée le Conseil de l’Ordre), ou par une exception d’euthanasie, inscrites dans la loi comme en Belgique ou au Pays-Bas. « C’est une carte supplémentaire qu’on aurait en main ».

Le Dr Debost est aussi favorable à une exception d’euthanasie pour les adultes et en néonatalité. « La loi de 2005 autorise le laisser mourir, mais il faut attendre que la maladie fasse son effet, que la mort arrive. Ça peut mettre des heures, des jours. Il y a une souffrance évidente pour les patients. Il faudrait rendre la mort plus acceptable », estime-t-il, tout en se démarquant de la proposition de l’ADMD, d’un droit absolu pour chacun de choisir les conditions de sa mort.

Dans notre unité pour patients pauci-relationnels, c’est la première fois qu’en conscience on s’est posé la question : va-t-on trop loin en le maintenant en vie à travers la nutrition et l’hydratation artificielle ? La médecine doit se poser la question du bénéfice-risque. Ce n’est pas parce qu’on sait faire qu’il faut faire. Il faut avoir l’humilité de nos prescriptions.
Dr Kariger
Chef du service de soins palliatifs du CHU de Reims
J’ai été confronté à plusieurs reprises aux équipes de soins palliatives mobiles qui viennent évaluer le patient à domicile ou dans un centre. Il y a vraiment une discussion avec le médecin traitant. Je regrette que cela ne se passe pas aussi bien dans les centres anticancéreux où les généralistes ne sont pas impliqués dans les réunions pluridisciplinaires de suivi du traitement.
Dr Debost, généraliste en Côte d’Or
Il faut lutter contre l’obstination déraisonnable. Dans les hôpitaux, nous sommes confrontés à la T2A. Des directeurs nous surveillent, disant que les services de réanimation sont particulièrement coûteux et rapportent peu. Certains praticiens réaniment plus qu’ils ne devraient car il faut maintenir des taux d’activité dans nos services et que nous avons un arsenal thérapeutique tellement important que nous pouvons maintenir les gens très longtemps. Mais par éthique, le médecin doit remplir son rôle, et apporter la meilleure prise en charge à son patient, avant d’être un agent comptable.
Dr Chaussoy, ancien chef du service de réanimation du centre héliomarin de Berck-sur-Mer aujourd’hui praticien au Centre hospitalier de Figeac
Coline Garré

Source : Le Quotidien du Médecin: 9310