Le point de vue du Dr Jean-Pierre Door

La soutenabilité financière des comptes sociaux, jusqu'où ?

Publié le 16/10/2020
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Expert des questions de santé à l'Assemblée depuis près de 20 ans, cet élu LR sera, comme chaque année, l'orateur du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale sur le PLFSS. Il s'alarme de la grande dérive des comptes de la Sécurité sociale, liée au Covid, mais pas seulement.

Dr Jean-Pierre Door (UMP) : « Une médecine sous la coupe des organismes payeurs »

Crédit photo : S. Toubon

En 2020, le déficit de la Sécurité sociale atteint un niveau record de 44,7 milliards d’euros (30 milliards pour la branche maladie et 7,9 milliards pour la branche retraite). L’objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) bondit à 7,6%, au lieu des 2,45 % initialement adoptés. Le choc économique va réduire durablement les rentrées d’impôts et de cotisations, tandis que les dépenses vont continuer d’augmenter. Même avec un retour de la croissance estimé à 8% en 2021 et un tassement espéré du coût de l’épidémie, une nouvelle perte de 27,1 milliards est projetée l’an prochain.

Le ministre des comptes publics l’a admis : la Sécurité sociale « subira de façon pérenne des déficits élevés, certainement au-delà de 20 milliards, et ce pendant plusieurs années ». Quand donc allons-nous remonter la pente après l'effondrement brutal des recettes dû à la chute d’activité consécutive au confinement ? L’on se souvient qu'après la crise financière de 2008 il aura fallu près de dix ans d'efforts pour revenir à de meilleurs jours. Or, du fait de la crise sanitaire, les incertitudes demeurent exceptionnellement élevées comme le constate le Haut Conseil des finances publiques.

Les Français attendent la fixation d’un cap mais le Gouvernement leur tient un double discours. Ainsi, lors de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021, le ministre de la Santé prétend être « le ministre de l’équilibre des comptes sociaux », tandis que celui chargé des comptes publics nous annonce que « la Sécurité sociale subira de façon pérenne des déficits élevés ». Il est à la fois si proche et si loin le temps où les mêmes nous promettaient l’équilibre des comptes voire leur excédent !

En effet, à l’automne 2018, la croissance économique de 2,3 % observée fin 2017 avait stimulé les recettes liées aux cotisations sociales. J’avais alors averti le Gouvernement quant à son refus d’entreprendre les réformes structurelles nécessaires, comme l’y appelait alors la Cour des comptes.

Le Gouvernement comptait aussi sur la hausse de la CSG et la non revalorisation des retraites. Or, du fait de la répercussion des mesures d’urgence consécutives à la crise des Gilets jaunes, c’est un déficit de 5,4 milliards d’euros qui a dû être supporté par la Sécurité sociale.

Aujourd’hui l’on mesure combien il était dangereux de laisser croire à une baisse des déficits par le seul jeu des recettes consécutif à une augmentation de la croissance. L’effondrement des recettes de la Sécurité sociale accuse un manque à gagner lié aux revenus d’activité (cotisations et CSG) et à la fiscalité (TVA et taxe sur les salaires). Ce sont les quatre branches de la Sécurité sociale qui se retrouvent dans le rouge.

Cet été, le Gouvernement a cru bon de faire éponger par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), à laquelle sont transférés 136 milliards d’euros de dette, les déficits passés et à venir de la Sécurité sociale. L’existence de la caisse créée en 1996 pour apurer la dette de la Sécurité sociale, qui ne devait être que provisoire, est repoussée jusqu’à 2033. Or, le transfert couvre les dépenses qu’il appartient à l’Etat d’assurer. La CADES sert ainsi à cacher l’amortissement d’une partie de la dette publique.

Rien pour la médecine de ville

Dans ce contexte, le PLFSS pour 2021 vise à amortir les conséquences de la crise sanitaire en relevant à 6 % l’ONDAM dans lequel une provision de 4,3 milliards d'euros est destinée au financement des tests, vaccins et masques. Le coût de l’allongement du congé de paternité estimé à 520 millions d'euros par an est fixé à 260 millions la première année. Un bon point est celui de l’amélioration et de la simplification de l’accès aux médicaments innovants. Il est à noter que 8,8 milliards d'euros sont intégrés dans la trajectoire de l’ONDAM pour 2020-2023, dont 5,8 milliards supplémentaires dans l'ONDAM 2021. Mais rien n’est fait pour la médecine de ville ni les aides à domicile.

Le Ségur de la santé n’est à considérer que comme une mise à niveau, étant rappelé que, selon une consultation qui vient d’être réalisée par l'Ordre des infirmiers, près de 40% d'infirmiers ont envie de changer de métier et deux tiers déclarent que leurs conditions de travail se sont détériorées depuis le début de la crise. Le PLFSS traduit aussi des décisions prises pour le soutien à l'autonomie en 2021, d'un montant de 2,5 milliards d'euros, dont 1,4 milliard au titre des revalorisations salariales dans les EHPAD. Mais nous sommes malheureusement loin du plan grand âge et autonomie, car il faudrait 9 milliards.

Au total, nous ne pouvons évidemment qu’être inquiets de la soutenabilité financière de la Sécurité sociale. Laissons conclure le premier président de la Cour des comptes :« À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles, nous ne le contestons pas. Mais la dette, qui pèse sur les générations futures, ne peut devenir le mode permanent de financement de la Sécurité sociale. »

EXERGUE : Nous sommes malheureusement loin du plan grand âge et autonomie, car il faudrait 9 milliards.

Député LR du Loiret,
Cardiologue,
Vice-président de la commission des Affaires sociales

Dr Jean-Pierre Door

Source : Le Quotidien du médecin