DANGEROSITÉ

La peur du malade psychiatrique

Publié le 16/03/2011
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Crédit photo : AFP

LA RÉPONSE gouvernementale au meurtre de Laetitia Perrais en janvier 2011 ne s’est pas fait attendre. Sitôt le principal suspect, Tony Meilhon, mis en examen, les ministères de l’Intérieur et de la Justice ont annoncé le 31 janvier dernier la création d’un office de suivi des délinquants sexuels ou violents. Son rôle : « Conduire un véritable travail d’analyse criminologique et comportementale, voire de profilage des délinquants sexuels ou violents les plus dangereux et présentant un risque particulièrement élevé de récidive ». Qu’importe si Tony Meilhon est ou n’est pas ce que les psychiatres appellent un délinquant sexuel (sur 14 condamnations, une seule sanctionne une infraction sexuelle). Récidive, délinquance sexuelle et meurtre, l’assimilation ne cesse d’être entretenue par les pouvoirs publics. Et conforte dans l’imaginaire collectif le cliché du malade psychique dangereux. Pourtant, « la dangerosité n’est pas une notion psychiatrique, mais criminologique. Un malade dangereux n’est rien d’autre qu’un malade qui fait peur », expliquait déjà, en 2005 au « Quotidien », Christian Kottler, responsable de l’unité pour malade difficile (UMD) Henri-Colin, à l’hôpital Paul Guiraud de Villejuif. Mais depuis le discours que Nicolas Sarkozy a prononcé à l’unité de soins spécialisés d’Antony le 2 décembre 2008, la dangerosité a acquis un statut de pathologie.

Tournant sécuritaire

« Je dois répondre à l’interrogation des familles des victimes que je reçois. Les malades potentiellement dangereux doivent être soumis à une surveillance particulière afin d’empêcher un éventuel passage à l’acte. » Nicolas Sarkozy, qui s’exprime dans la foulée du meurtre d’un étudiant de 26 ans, poignardé par un schizophrène échappé de l’hôpital Saint-Egrève en Isère, s’empresse de proposer un arsenal de mesures en faveur de la sécurisation des hôpitaux psychiatriques : contrôle des entrées et sorties, géolocalisation, généralisation des unités fermées et chambres d’isolement, et création de 4 UMD supplémentaires. Il annonce également la réforme des procédures d’hospitalisation d’office, avec l’introduction de soins ambulatoires sans consentement et l’encadrement des sorties par le préfet. Ce qui provoque immédiatement l’ire de certains médecins psychiatres, notamment du collectif des 39, connu pour « L’appel contre la nuit sécuritaire ».

Les nouvelles dispositions représentent en effet une profonde rupture avec les dispositifs législatifs en place, à commencer par la loi d’obligation des soins du 27 juin 1990. Elle établit l’hospitalisation libre (HL) comme le régime habituel de séjour à l’hôpital, contrairement à la loi du 30 juin 1838, qui réglementa, pendant 150 ans, les différents modes de placement, exclusivement sous contrainte. Selon le texte de 1990, au contraire, le malade mental consent à son hospitalisation et dispose des mêmes droits que tout autre malade. La loi précise par ailleurs les deux modes d’hospitalisation sous contrainte, sur la demande d’un tiers (HDT, qui nécessite deux certificats médicaux, la demande écrite d’un tiers, et l’autorisation d’admission signée par le directeur de l’établissement) et d’office (HO, sur la décision d’une autorité administrative). En accord avec l’esprit de la loi de 1990, les textes suivants renforcent le respect du malade psychique. La loi Kouchner du 4 mars 2002 souligne que le consentement aux soins reste le principe indispensable à toute prise en charge thérapeutique et que le recours à l’hospitalisation sous contrainte doit rester une exception fortement encadrée, justifiée par le critère de « la nécessité de soins ». Les commissions départementales des hospitalisations psychiatriques sont chargées de garantir le respect des libertés individuelles et de la dignité des personnes hospitalisées. La réforme de l’hospitalisation sans consentement devait être adaptée tous les 5 ans. Elle est en réalité mise sous le boisseau, jusqu’en 2010.

À chaque fait-divers son projet de loi.

En revanche, d’autres mesures focalisent l’attention, au gré des faits-divers qui révèlent un profond malaise dans la psychiatrie française. Une première loi antirécidive, prévoyant la prescription de médicaments limitant la libido aux condamnés sexuels, en échange d’une possible réduction de peine et le port du bracelet électronique pour les récidivistes, est promulguée en 2005. Un écho aux arrestations de Pierre Bodein, « Pierrot le fou », mis en examen dans l’enlèvement et la mort de Julie, 14 ans, et de Michel Fourniret, qui avoue 9 meurtres. À peine deux ans plus tard, à l’été 2007, le viol du Petit Enis par un pédophile récidiviste aboutit à la proclamation de la loi Dati sur les peines planchers, qui interdit radicalement toute remise de peine ou libération conditionnelle à un délinquant sexuel qui ne se soigne pas. Le dernier acte s’ouvre avec l’affaire de Pau, lorsque, en décembre 2004, Romain Dupuy, jeune schizophrène de 21 ans, assassine une infirmière et une aide-soignante de l’ancien hôpital où il était interné. Le juge d’instruction prononce un non-lieu psychiatrique. Colère des victimes, qui font appel, en vain : nouveau non-lieu en novembre 2007. Le 25 février 2008 est in fine votée la loi relative à la rétention de sûreté qui prévoit de retenir dans des centres fermés les criminels jugés dangereux et condamnés à des peines de plus de 15 ans. Ce drame est aussi la funeste occasion pour mettre en place de la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Concrètement, une audience publique et contradictoire, en présence de l’auteur du crime, peut se tenir. Un souhait dont avait fait part Nicolas Sarkozy aux familles de deux victimes lorsqu’il avait évoqué « la possibilité de faire évoluer la loi pour qu’un procès puisse avoir lieu, y compris en cas d’irresponsabilité. Un procès, ça permet de faire le deuil. »

Si ces différentes mesures ont nourri les tirs croisés entre le monde de la psychiatrie et le gouvernement de Nicolas Sarkozy, la réforme de l’hospitalisation n’a toutefois pas été enterrée. C’est à nouveau un fait-divers qui la remet à l’ordre du jour, quand en avril 2010, un schizophrène pousse un voyageur sur les rames du RER A, à cause d’un « mauvais regard ». Quelques jours plus tard, sa mère confie au « Parisien » qu’elle avait alerté plusieurs fois la police sur l’état de son fils et demandé une obligation de soin, qu’on lui avait refusé. Un avant-projet de loi prévoyant des soins sans consentement entre alors en phase d’examen. Fin janvier 2011, une lettre rectificative peaufine le texte, soumis à l’Assemblée Nationale le 15 mars. 21 ans après la loi de 1990 sur l’obligation des soins, ce projet, s’il est accepté, introduirait pour la première fois la possibilité de soins sans consentement hors les murs, en ambulatoire. En outre, le texte prévoit la suppression des sorties d’essai, le maintien d’un patient non consentant pendant trois jours pour diagnostic, et le contrôle du bien fondé des hospitalisations complet au-delà de 14 jours, par le juge. Autant de dispositions à tendance sécuritaire, dont beaucoup de psychiatres craignent qu’elles entérinent la confusion entre dangerosité psychiatrique et criminologique, et jettent à la vindicte publique certaines catégories de patients. « Le mot schizophrène, jeté à tort et à travers, en bafouant le secret médical, n’est plus un diagnostic mais une menace, qui accable les malades et leurs familles, effraie jusqu’à leur voisinage », souligne le collectif des 39 dans sa pétition contre la loi d’obligation des soins. Seulement 1 % des Français souffrent de schizophrénie, et parmi eux, 1 % est dangereux.

COLINE GARRÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 8924
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