CLONAGE

La reprogrammation nucléaire fait encore rêver

Publié le 16/03/2011
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Crédit photo : AFP

AVEC LA NAISSANCE de la brebis Dolly, le 5 juillet 1996, l’aventure scientifique du clonage prend une nouvelle ampleur, suscitant autant d’enthousiasme que de fantasmes. « Dolly, c’était la démonstration que la reprogrammation pouvait, chez le mammifère, aboutir à la naissance d’un individu. C’était la confirmation des mécanismes que l’on avait déjà observés chez les grenouilles, chez d’autres animaux », rappelle le Pr Marc Peschanski, directeur scientifique de l’I-Stem, l’institut des cellules souches pour le traitement et l’étude des maladies monogéniques. Obtenue après plusieurs centaines de tentatives (il a fallu 277 embryons), la naissance ne sera révélée qu’en février 1997 par les chercheurs britanniques Ian Wilmut et Rudolf Jaenish, qui souhaitaient d’abord s’assurer de sa bonne santé. Car d’autres tentatives ont précédé.

L’histoire de la reprogrammation remonte aux années cinquante. En 1970, le Britannique Sir John Gurdon parvient (après un essai en 1962) à transplanter le noyau d’une cellule adulte de grenouille dans des ovules énucléés. Ces têtards sont les premiers individus clonés. « La reprogrammation, c’est d’abord une question scientifique extraordinaire : c’est imaginer que l’ADN n’est pas indépendant, isolé, mais qu’il est sous le contrôle de protéines. Et que ces protéines peuvent exercer une pression suffisamment forte sur l’ADN pour ramener le programme génétique à une expression qui correspond à celle des premiers jours de vie », explique Marc Peschanski, qui a réussi, en 2009, à recréer l’ensemble d’un épiderme à partir de cellules souches embryonnaires.

Le fantasme du bébé cloné

Mais au-delà de l’aspect scientifique, si la naissance de Dolly a suscité un émoi aussi vif, c’est qu’elle démontrait que la technique du clonage pouvait aussi conduire à reproduire un humain. En 2001, des chercheurs de la société américaine Advanced Cell Technology créent un clone qui ne dépasse pas le stade précoce de six cellules. Le 26 décembre 2002, profitant d’une tribune médiatique inespérée, la société Clonaid, associée à la secte de Raël, annonce, sans fournir la moindre preuve, la naissance du premier bébé cloné. Cette même année, le gynécologue italien Severino Antinori prétend également avoir réussi à provoquer, par clonage, trois grossesses. Le dernier essai en date, celui de l’entreprise californienne Stemagen (fin 2008), semble le plus abouti : Samuel Woods et son équipe indiquent avoir produit par clonage des embryons humains au stade blastocyste à partir de cellules de peau d’adultes. Toutefois, la démarche des chercheurs, qui souhaitaient dériver des lignées de cellules potentiellement thérapeutiques à partir de ces embryons, ne consistait en aucun cas à les réimplanter dans l’utérus d’une femme pour donner naissance à des enfants clonés.

Voilà toute l’ambiguïté de cette technique qui a conduit, en France, par le biais de la loi bioéthique, à sa totale interdiction, quel que soit le but poursuivi. Si les organisations internationales et européennes ont unanimement condamné toute forme de clonage reproductif humain, certains pays ont cependant choisi d’autoriser le clonage thérapeutique (autrement appelé « transfert nucléaire »), comme la Grande-Bretagne ou certains états américains.

Une technique inefficace.

« On peut, comme moi, être tout à fait partisan de la recherche sur le clonage et être tout à fait opposé à toute expérimentation chez l’homme », estime Marc Peschanski. « Le clonage était une technique que l’on envisageait pour compléter les possibilités des cellules souches embryonnaires de façon à avoir des lignées cellulaires qui soient compatibles du point de vue du système immunitaire avec les patients receveurs. Il s’agissait d’attribuer aux cellules un patrimoine génétique intéressant car compatible », poursuit le chercheur, en utilisant l’imparfait.

Deux raisons expliquent l’emploi du passé. « Le clonage a été abandonné d’abord parce que techniquement, il s’est révélé jusqu’à présent impossible chez l’homme. Chez l’animal, la technique, extraordinairement inefficace, demandait des quantités d’essais, donc d’ovocytes, tout à fait considérables. Il fallait des milliers d’ovocytes pour obtenir le début d’une lignée de cellules souches embryonnaires. » Or, chez l’homme, la pénurie d’ovocytes pour réaliser des procréations médicales ne permet pas d’envisager la mise à disposition en quantité suffisante de ce type de gamète au bénéfice des chercheurs (voir encadré). « La deuxième raison tient au fait qu’à partir de 2007, on a eu une autre façon d’envisager d’introduire un patrimoine génétique à l’intérieur des cellules : ce sont les cellules induites à la pluripotence car, de la même façon que pour le clonage, ces cellules partent d’un patrimoine génétique connu, qui est celui du donneur. On se retrouve avec une possibilité technique plus facile à réaliser. Les labos de recherche, spécialisés sur les cellules souches embryonnaires, sont armés du point de vue méthodologique pour réaliser ces lignées de cellules souches pluripotentes induites (IPS) ». Les cellules IPS se cultivent en effet de la même façon que les cellules souches embryonnaires.

Une troisième voie de recherche.

Prometteuses, les IPS ne s’opposent toutefois pas aux autres techniques, l’objectif à atteindre étant le même : donner un patrimoine génétique à des cellules souches de type embryonnaire et aboutir à des thérapies de remplacement cellulaire personnalisées qui permettraient de restaurer des fonctions d’organes. Dans un rapport sur la recherche sur les cellules souches réalisé de 2010, les membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (les députés Alain Claeys et Sébastien Vialatte) estiment que la découverte des IPS ajoute une troisième voie de recherche à celles ouvertes depuis plusieurs années sur les cellules souches adultes et les cellules souches embryonnaires. Cela démontre, selon eux, que ces recherches « se fertilisent mutuellement » et qu’il n’est donc « pas pertinent » de les opposer. La technique du transfert nucléaire ne présente actuellement plus d’intérêt pour les chercheurs. Mais si, dans quelques temps, « le problème de la disponibilité ovocytaire était résolu par des techniques de vitrification et qu’en revanche les IPS ne donnaient pas les résultats escomptés ou posaient des problèmes éthiques, cette technique pourrait présenter de nouveau un intérêt », notent les parlementaires.

Le Japonais Shinya Yamanaka qui a ouvert la voie aux IPS en prouvant que l’induction de la pluripotence dans une cellule différenciée nécessitait l’expression de quatre gènes, a reçu, en 2009, le prix Albert Lasker pour la recherche médicale fondamentale. Une récompense qu’il a partagée avec Sir John Gurdon qui était à l’origine de ces travaux sur la reprogrammation.

STÉPHANIE HASENDAHL
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Source : Le Quotidien du Médecin: 8924
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