Les soins hospitaliers à Krasnoyarsk en Sibérie

L’inspiration parisienne du médecin-chef Korchagin

Publié le 30/11/2011
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DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE

KRASNOYARSK a fière allure, avec son « Big Ben » local sur la grand-place, ses parcs bordant le fleuve Iénisseï, sa statue de Lénine, et ses maisons en bois du XIXe siècle. Son industrie, laminée pendant la Perestroïka, se relève grâce au bois, au nickel et au charbon. Ses habitants ont gardé une santé fragile. Le froid coupant n’est pas à blâmer : « Il n’y a pas de mauvais temps, il n’y a que de mauvais vêtements », dit un proverbe sibérien. Non, la faute incombe aux usines d’aluminium qui polluent l’atmosphère, et à cette fichue manie qu’ont les Russes de consulter quand il est déjà trop tard.

Des dizaines d’hôpitaux que compte la ville, l’hôpital régional est le plus grand (1 200 lits). Vétuste par endroits, mais fort utile : l’établissement se doit d’apporter secours aux 3 millions d’habitants de la région. Qu’ils vivent en ville, en forêt, ou au-delà du cercle polaire. « Dans les cas extrêmes, nos médecins partent en hélicoptère sur place. Une centaine d’accouchements par an ont lieu à domicile », raconte le Dr Egor Korchagin. Le nouveau médecin-chef de l’hôpital régional était vice-ministre de la Santé du kraï de Krasnoyarsk jusqu’à cet été ; il mesure l’ampleur de la tâche. « Nous faisons le maximum pour que les ethnies isolées reçoivent des soins d’aussi haut niveau qu’à Krasnoyarsk », affirme Egor Korchagin.

Egor : « Je licencie les mauvais ».

L’hôpital régional - 43 millions d’euros de budget annuel - s’est jumelé avec les hôpitaux de Paris (AP-HP) afin d’accélérer sa modernisation. Egor Korchagin souhaiterait y envoyer des internes en stage. Les hôpitaux parisiens qu’il a visités cette année l’ont inspiré. Le médecin-chef voudrait créer un service d’urgences, et importer certains aspects de l’organisation française : le plateau-repas individuel plutôt que la salle à manger, l’automatisation de la délivrance des médicaments. Pas question pour autant de faire table rase des spécificités locales. « Les hôpitaux russes ont des thérapeutes qui suivent les maladies chroniques par territoire, expose le médecin-chef. C’est un héritage soviétique que nous ne voulons pas casser brutalement ».

En retour, Egor Korchagin compte apprendre aux Français « comment fonctionner avec si peu d’argent ». Et les avantages qu’il voit à diriger un hôpital en étant médecin - une obligation, en Russie. « Je recrute les médecins, je gère leurs revenus, je licencie les mauvais », relate le médecin-chef. Incompatible avec le statut protecteur de praticien hospitalier, qu’Egor découvre au fil de la conversation. Il éclate de rire. « Je suis très heureux pour mes collègues de France. Mais comment quelqu’un qui n’a pas fait d’études de médecine peut-il savoir si tel médecin est bon ou pas ? En Russie, le médecin-chef connaît la technologie, les traitements. Il sait comme c’est difficile de porter secours. C’est pourquoi ses relations sont plus confortables avec le corps médical ».

DELPHINE CHARDON

Source : Le Quotidien du Médecin: 9050