Hypersensibilité aux pénicillines

Le plus souvent, ce n’est pas une allergie

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Publié le 22/05/2018
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Crédit photo : PHANIE

Les réactions aux pénicillines constituent un réel problème en médecine et en pédiatrie. En effet, ces antibiotiques sont souvent incriminés sans preuve aucune dans des réactions considérées comme allergiques qui ne le sont pas, mais sont notées comme telles dans le carnet de santé. Avec pour conséquences une éviction trop large de ces médicaments, le recours à des antibiotiques de substitution moins efficaces et le développement de résistances. Ainsi, sur les 9 à 12 % d’hypersensibilités aux bêtalactamines rapportées dans la population générale, 90 % ne sont pas des réactions allergiques.

Dans la population pédiatrique, une étude menée au Portugal sur 1 400 enfants âgés de 7 ans en moyenne a montré que la prévalence de l’allergie, après réalisation de tests cutanés et éventuellement de tests de provocation orale (TPO), était très faible, de 0,2 %. Il est donc important de bien distinguer parmi les réactions d’hypersensibilité celles qui sont allergiques IgE médiées, pouvant entraîner une anaphylaxie, celles qui sont allergiques non IgE dépendantes, et les réactions non allergiques.

La réaction allergique IgE médiée survient de façon immédiate, dans les minutes qui suivent la prise, ou dans la première heure. Les manifestations sont de type urticaire, angio-œdème, bronchospasme et anaphylaxie, rarement digestives. À l’inverse, la réaction allergique médiée par les lymphocytes T est retardée, « et se traduit par exemple par un exanthème maculopapuleux apparaissant de 2 à 4 jours après la prise de l’antibiotique ou une urticaire », a rapporté le Dr Davide Caimmi (Montpellier). Les formes sévères, comme les syndromes Dress et de Lyell sont rares, et nécessitent bien sûr une prise en charge en urgence.

Deux critères conjoints : la précocité et la sévérité de la réaction

Un travail monocentrique sur 1 431 enfants âgés en moyenne de 5 ans et suspects d’allergie a montré qu’en cas de réaction immédiate (162/1 431) le risque qu’il s’agisse d’une réaction allergique ou d’une hypersensibilité est de 30 %, s’élevant à 50 % en cas de réaction sévère (anaphylaxie). Dans le groupe d’enfants qui avaient présenté une réaction retardée (situation la plus fréquente ; 1 269/1 431), le risque qu’il s’agisse d’une allergie ou d’une hypersensibilité n’était que de 15 %, voire de 10 % en cas d’exanthème maculopapuleux.

« L’interrogatoire seul ne fait pas le diagnostic, mais deux critères conjoints sont évocateurs d’une allergie aux antibiotiques : la précocité et la sévérité de la réaction », a souligné le Dr Guillaume Lezmi (Paris).

Ainsi, comme le préconise l’EAACI (Académie européenne d’allergie et d’immunologie clinique) dans ses recommandations, si l’interrogatoire met en évidence une réaction immédiate, le patient est à risque d’anaphylaxie et doit être exploré par des tests cutanés, complétés par le dosage des IgE, voire un test de provocation par voie orale.

En cas de réaction retardée, l’attitude dépend de la sévérité de l’exanthème. S’il était sévère, le patient doit d’abord être exploré par des tests cutanés, le TPO n’étant fait qu’en cas de négativité. Si la réaction cutanée était légère, le TPO peut être réalisé d’emblée selon des modalités qui ne sont pas précisées et qui varient donc selon les équipes.

Prudence dans la réalisation du TPO

À côté des réactions immédiates IgE médiées qui exposent au risque anaphylactique, il faut également être prudent dans la réalisation du TPO en cas de réactions potentiellement sévères : atteinte des muqueuses, des plis et localisation médiothoracique, lésions de type bulles ou décollement, et atteinte systémique.

« En pratique, il est impératif d’adresser à un spécialiste un enfant ayant une réaction d’hypersensibilité à un antibiotique immédiate ou potentiellement sévère. À l’inverse, pour un enfant ayant fait une réaction retardée légère, aucune exploration n’est indispensable en première intention, et le TPO peut être fait d’emblée par le médecin traitant au cabinet. Le test peut être réalisé de 4 à 6 semaines plus tard, en redonnant la même dose, sous réserve de disposer au cabinet d’antihistaminiques, de corticoïdes et d’adrénaline et de demander au patient de rester à proximité pendant une heure, a indiqué le Dr Guillaume Lezmi (Paris), en précisant que cette stratégie ne repose pas sur des recommandations établies. En cas de réaction au TPO, l’enfant doit bien sûr être adressé à un spécialiste. »

« Il est essentiel que les médecins traitants analysent les mécanismes de la réaction d’hypersensibilité afin d’adresser ou non le patient au spécialiste en première intention, a souligné le Pr Jean-François Nicolas (Lyon). Car, à la différence de l’allergie, l’hypersensibilité ne constitue pas une contre-indication formelle à la prise du médicament. »

Communications des Drs Davide Caimmi (Montpellier) et Guillaume Lezmi (Paris), pédiatres, et du Pr Jean-François Nicolas, dermatologue (Lyon)

Dr Isabelle Hoppenot

Source : Le Quotidien du médecin: 9666