Les généralistes face à la vaccination

Dans un climat de défiance, la confiance des médecins est cardinale

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Publié le 07/04/2016
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« Généraliste et médecin de crèche, j'ai parfois l'impression de monter sur un ring face à des parents qui refusent la vaccination ! », témoigne une jeune femme lors d'une table ronde sur le sujet. « Que dire aux parents qui ont peur que les adjuvants les intoxiquent ? », s'interroge une Rennaise. « A-t-on des informations sur la diminution des cancers en lien avec les vaccins anti-HPV pour convaincre les parents ? » demande une Montpelliéraine. « Pourquoi ne le proposer qu'aux jeunes filles ? » questionne une interne de Grenoble.

Amnésie des victoires vaccinales

Vacciner est bel et bien un souci pour les généralistes aujourd'hui dans un climat de défiance généralisée. Pourquoi cette hésitation vaccinale ? Le groupe Sage* de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en lumière la perception amoindrie des risques des maladies et l'amnésie des victoires vaccinales, relate le Dr Henri Partouche, généraliste à Saint-Ouen, et membre du comité technique des vaccinations (CTV). Les réticences se nourrissent en France de polémiques (pseudos liens entre sclérose en plaques et vaccin anti hépatite B, scandale du Mediator, campagne de vaccination contre la grippe H1N1), tandis que des minorités anti-vaccins déstabilisent la majorité silencieuse, analyse le Dr Partouche. La complexité du calendrier vaccinal (simplifié depuis 2013) et la co-existence de vaccins recommandés et obligatoires provoquent en outre une « perte des repères mnésiques ». Sans parler des ruptures d'approvisionnement de certains vaccins. « Ça nous pourrit la vie », résume le généraliste.

Des décès évitables non évités

Cette hésitation vaccinale se traduit en chiffre. Si la France n'a pas à rougir pour les vaccins DTC Polio, Hæmophilus influenza b chez le jeune enfant (l'objectif de 95 % est atteint) et pneumocoque (94 % pour la première dose), la vaccination contre l'hépatite B pour les nourrissons (92 % en 2014) et contre le méningocoque C (64 % à 2 ans) reste insuffisante, bien qu'en progression, tandis que les taux de couverture des vaccins ROR 1re dose (90 %), du rappel de coqueluche chez les ados (70 %), de l'hépatite B chez les ados (50 %) et du DTP adulte (50 %) sont inquiétants, indique le Dr Daniel Levy-Bruhl, de l'Institut national de veille sanitaire (InVS).  

À la clef, ce sont « plusieurs événements dramatiques, des décès évitables, qui touchent des enfants » chaque année, dénonce le Dr Levy-Bruhl. Quelque 24 000 cas de rougeole ont été notifiés entre 2008 et 2014, 43 000 cas en prenant en compte la sous déclaration, et 10 décès, dont 7 touchant des personnes immunodéprimées. « C'est l'environnement qui aurait dû se protéger », reproche l'épidémiologiste. Les parents réticents à la stratégie de cocooning portent leur part de responsabilité dans les 50 à 70 cas annuels de coqueluche, provoquant un ou deux décès. L'épidémiologiste égrène les chiffres : 2 cas par an de méningites à Hæmophilus, 2 070 à 2  445 cas d'hépatite B aiguë non évités entre 2006 et 2013 chez des sujets qui auraient dû être vaccinés, et 14 à 20 cas d'hépatites fulminantes chez des sujets à risques non vaccinés et 100 à 300 cas non évités de méningites à méningocoque C entre 2011 et 2013 et 10 à 45 décès. Enfin, la grippe, dont le taux de couverture plafonne sous les 50 %, remporte la triste palme du plus grand nombre de décès évitables.

Restaurer la confiance et l'information

Les généralistes, qui ont un véritable impact sur la décision des parents en matière de vaccination, y sont globalement favorables. Mais « 1/4 émettent des doutes et 43 % manquent d'assurance pour informer leur patientèle sur certains vaccins avec adjuvants », rapporte le Dr Partouche, qui souligne la pertinence qu'aurait un site unique d'information sur le sujet. « Proposer un vaccin suppose d'avoir confiance en soi et en ses aptitudes par rapport à des réticences ou à des refus », dit-il, appelant ses confrères à travailler sur leurs propres réticences.

C'est notamment vrai pour déminer la polémique autour du vaccin anti-HPV, dont la couverture vaccinale continue de diminuer (de 25 % à 20 % entre 2008 et 2013). Pourtant dès avant la commercialisation du Gardasil en juin 2006 et du Cervarix en mai 2007, la pharmacovigilance a été extrêmement rigoureuse. Un plan de surveillance renforcé a été mis en place post-AMM, rapporte Serge Gilberg, généraliste et membre du CTV. En septembre 2015, l'ANSM et la CNAMTS ont publié une étude sur l'association entre les vaccins HPV et les maladies auto-immunes (MAI), incluant 2,2 millions de jeunes femmes, dont 1/3 vaccinées. « Les résultats sont rassurants par rapport au risque de survenue des MAI », assure le Dr Gilberg, en observant l'absence d'argument en faveur d'une corrélation avec les maladies inflammatoires chroniques intestinales, et malgré une probable augmentation du syndrome de Guillain-Barré. « Ce vaccin est vraiment efficace sur la baisse de la prévalence de l'infection à HPV et la diminution des nouveaux cas de condylomes, même si nous n'avons pas encore les chiffres pour le cancer du col. Nous, généralistes, devons y repenser et en parler à nos jeunes patients dès 11 ans car les convaincre prend du temps », conclut le Dr Gilberg.

*Groupe stratégique consultatif d'experts

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9486