« À force de céder au corporatisme médical... » : des sénateurs démolissent la liberté d'installation, Buzyn se défend

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Publié le 15/02/2018
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Crédit photo : Public Senat

Auditionnée mercredi sur l'accès aux soins par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, Agnès Buzyn était sur un terrain miné.  

Avocat inlassable de mesures musclées, le président de cette commission, Hervé Maurey (Union centriste, Eure) a sorti d'emblée l'artillerie lourde. Coauteur dès 2013 d'un rapport acide intitulé « Déserts médicaux, agir vraiment », le parlementaire a de nouveau mis en avant l'indispensable régulation à l'installation des médecins par la mise en place d'un conventionnement sélectif (un départ pour une arrivée dans les zones surdotées).

« Depuis 25 ans, les gouvernements successifs n'ont pas voulu sortir d'une politique purement incitative dont on mesure chaque jour les limites, une politique onéreuse et peu efficace », a asséné l'élu, coauteur d'un deuxième rapport (2017), visant là encore à entraver la liberté d'installation. « J'avais beaucoup d'espoir dans ce gouvernement, mais j'ai été déçu de découvrir ce plan avec des mesures incitatives qui ne sont pas de nature à relever le défi auquel sont confrontés aujourd'hui nos territoires », a-t-il lancé à Agnès Buzyn.

Lobby médical

Pendant plus d'une heure, dans une ambiance parfois tendue, les questions des sénateurs remontés ont fusé, en remettant sur le tapis la question du conventionnement sélectif ou de mesures contraignantes. Plusieurs élus ont tenté d'expliquer pourquoi « régulation » ne signifie pas forcément « coercition », pressant la ministre de suivre l'exemple de l'implantation encadrée des pharmacies. 

« Il n'y a pas de coercition, les médecins non conventionnés s'installent là où ils veulent, en revanche, j'ai beaucoup de mal à accepter que des jeunes médecins conventionnés s'installent dans des zones surdotées alors qu'il y a des secteurs où on manque de praticiens », a bombardé Michel Vaspart, sénateur LR des Côtes-d’Armor, ajoutant : « On a le sentiment désagréable que ce sont les médecins qui décident ».

Pierre Médevielle, sénateur centriste de Haute-Garonne, en a remis une couche. « À force de céder sans cesse au corporatisme médical et de reculer sur les décisions difficiles, les déserts médicaux gagnent du terrain », lâche-t-il.

C'est la sénatrice du Lot (groupe socialiste et républicain), Angèle Préville, qui a enfoncé le clou : « Les mesures incitatives sont coûteuses. Les pouvoirs publics doivent imposer la solidarité collective aux médecins, la seule sortie de crise est le courage ».

Indicateurs

Face à l'offensive sénatoriale, Agnès Buzyn n'a pas vacillé.

Visage fermé, elle a défendu son une nouvelle fois son plan d'accès aux soins et les leviers incitatifs. « Je suis persuadé que réguler l'installation pour une profession en démographie tendue comme celle des médecins ne fonctionnera pas », a-t-elle plaidé. Pour la ministre, la contrainte serait contre-productive et pousserait les jeunes vers le salariat. 

Cède-t-elle au lobby médical, petite musique des sénateurs ? « Je ne suis pas là pour défendre les syndicats médicaux. Je n'ai qu'un devoir, celui de répondre aux enjeux et aux besoins. L'objet n'est pas de protéger une profession ou une autre », s'est-elle défendu. Hervé Maurey, très sceptique, a lancé une ultime question, qui en dit long sur l'impatience de certains parlementaires. « Mais à quelle échéance cela ira mieux, madame la ministre ? Ce n'est pas sarcastique mais une question de terrain »

La ministre de la Santé a rappelé que des indicateurs (temps d'attente, nombre de patients sans médecin traitant…) seraient mis en place pour évaluer les mesures. « J'espère une évolution favorable. Mais je ne peux pas m'engager pour tous les territoires ».


Source : lequotidiendumedecin.fr