Dr Jocelyne Rousseau, 35 ans d'exercice en banlieue

« Les médecins de quartier permettent de lutter contre l’isolement »

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Publié le 09/02/2017
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Crédit photo : PHANIE

« Une journée type commence à 8h30, lorsque j’arrive à mon cabinet après les vingt minutes de trajet matinal, raconte le Dr Joselyne Rousseau. Et, rapidement, les consultations s’enchaînent : il n’y a pas de prise de rendez-vous donc le rythme est assez soutenu, avec des coups de feu, des imprévus, et quelques rares moments un peu plus calmes. »

La patientèle du Dr Rousseau est hétéroclite : résidents de la zone pavillonnaire, anciens riverains qui se sont installés dans des communes limitrophes et, bien sûr, habitants de la cité voisine. Pour chacun, le médecin prend le temps de répondre aux questions, de soigner, de comprendre… même si ce n’est pas toujours simple : « Certains patients nous compliquent la tâche, en adoptant des comportements agressifs dans la salle d’attente ou en considérant que tout leur est dû », témoigne-t-elle. Pas question de stigmatiser qui que ce soit, mais plutôt de rendre compte des difficultés du quotidien, pour le docteur comme pour les autres visiteurs.

Solidarité des patients

Il faut dire qu’en 35 ans de pratique en banlieue, le Dr Rousseau a été confrontée à « quelques » incidents… : « 21 cambriolages, 1 agression physique, 1 agression à main armée et 1 sabotage de voiture : exercer la médecine en quartier sensible n’est pas de tout repos », constate-t-elle. En effet, le bilan est lourd, les traumatismes – notamment quand on se retrouve face à un homme armé – bien réels. Comment retourner travailler quand on a eu peur ? « J’ai été énormément aidée, répond le Dr Rousseau. Par ma famille, évidemment, mais également par ma patientèle, qui a été incroyable. » Visites surprises pour « voir si tout va bien », patients qui font le guet à la sortie du cabinet, petits mots et pensées de soutien… « Le discours stigmatisant et simplifié sur les banlieues me révolte, ajoute-t-elle, sans toutefois tomber dans l’angélisme. Oui on y rencontre des imbéciles, mais il y a aussi une immense solidarité. »

Rythme soutenu

Pour ne pas ressasser sur les éventuels écueils du métier, le Dr Rousseau s’implique sans compter dans son travail. Ainsi, après les consultations du matin – de 8h30 à midi -, elle utilise la « pause déjeuner » pour réaliser quelques tâches administratives dans l’association dont elle est présidente*, pour faire le point sur ses activités au sein d’un réseau de gérontologie et de soins palliatifs, ou encore pour faire deux/trois visites à domicile. « Depuis que ma voiture a été mise à sac alors que je rendais visite à un patient paraplégique dans la cité, j’ai cessé d’aller dans ce quartier, précise-t-elle. Toutefois, je continue de me rendre chez quelques patients âgés, qui habitent dans une zone moins "sensible". » Ne plus se rendre dans la cité ne fut pas une décision facile : « SOS Médecins n’y va plus, et, à ma connaissance, les autres praticiens des environs font de même… c’est vraiment triste, mais on n’a pas vraiment le choix. »

Un lieu pour faire du lien

Après la pause déjeuner – qui n’en est donc pas une ! –, le Dr Rousseau reprend ses consultations. Le cabinet est ouvert jusqu’à 18h, et la journée s’achève en général vers 19h, mais pas plus tard. « J’ai maintenant 62 ans et je n’ai pas très envie de me promener ici de nuit ! », ajoute Joselyne. Être à l’écoute de ses patients, proposer un lieu de proximité, oui, mais sans oublier la sécurité. D’ailleurs, en mentionnant son âge, elle ne peut s’empêcher de parler de l’avenir de son cabinet : « Ayant vu ce qui s’est passé pour mes confrères, je ne me fais pas d’illusion quant à la reprise de celui-ci par un éventuel remplaçant… Les généralistes ne veulent pas venir ici, et ce n’est pas en instaurant un service obligatoire dans les quartiers que cela va améliorer les choses ». Quant aux maisons de santé, elles ne sont pas non plus une solution : « Pour moi, les médecins sont comme des petites tâches disséminées dans la ville, qui permettent de faire du lien et de mettre de la vie dans les quartiers, complète le Dr Rousseau. Tout rassembler en un seul et unique lieu est absurde. » Un constat amer, qui s’ajoute donc à la fermeture probable de son cabinet dans quelques années. « Quand j’arrêterai, j’abaisserai définitivement le rideau, conclut-elle avec regret. Ce sentiment, celui d’abandonner mes patients, me fait déjà mal au cœur. »

* Le Dr Joselyne Rousseau a créé l’Association des Professionnels de Santé Libéraux de Pierrefitte (APSLP) afin de rassembler les professionnels de santé de la ville et d’interpeller les élus sur les violences auxquels ils sont confrontés.

Anne-Lucie Acar

Source : Le Quotidien du médecin: 9554