Entretien

Patrick Hassenteufel, professeur de sciences politiques : « La prime aux syndicats les plus contestataires »

Publié le 22/10/2015
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LE QUOTIDIEN : Comment expliquez-vous le faible niveau de participation ?

PATRICK HASSENTEUFEL : L’abstention à 60 % est un élément frappant de ce scrutin car le contexte de mobilisation contre la loi de santé était favorable à une forte participation. C’est un signal à méditer pour toutes les organisations. La défense radicale de la médecine libérale n’est peut-être plus en phase avec une partie du corps médical, notamment parmi les jeunes ou les femmes. Il y a sans doute un décalage entre une partie de la profession et certains discours quasi exclusivement focalisés sur le rejet du tiers payant ou la seule défense de la médecine libérale, qui ne trouvent pas d’écho suffisant. L’autre explication de l’abstention, c’est le rôle flou des URPS, dont le poids reste limité face aux ARS. Enfin, ce scrutin n’échappe pas à la tendance générale qui voit l’abstention progresser.

Comment analysez-vous le revers de la CSMF ?

Il y a une continuité dans la prime aux syndicats les plus contestataires. En 1994, MG France avait gagné nettement en étant l’opposant numéro un à la convention. Puis la CSMF avait remporté les élections de 2000 sur une campagne anti-convention. Cette fois, c’est la FMF qui a joué ce rôle d’opposant déterminé, avec le renfort de l’UFML et l’apport des coordinations généralistes. C’est le même ressort : ceux qui votent sont plutôt dans la contestation et le rejet. Les discours tranchés tirent les marrons du feu. La CSMF étant associée à la convention, elle a pu pâtir de ce positionnement. Ce syndicat était aussi le "sortant" dans les URPS... Enfin, même si son président a changé, la CSMF a du mal à incarner le renouvellement. Le changement est plus visible ailleurs.

Faut-il parler de progression des syndicats poujadistes, comme l’a suggéré la CSMF ?

Historiquement, le poujadisme, c’est d’abord la résistance à l’État et la défense des professions indépendantes. De ce point de vue, la CSMF n’a pas un discours radicalement différent des autres. Elle est contre l’étatisation du système de santé ! L’autre slogan poujadiste, c’est "sortez les sortants". C’est peut-être cela qu’a voulu exprimer la CSMF en parlant de syndicats poujadistes sans propositions... Mais l’emploi de ce terme traduit le malaise de la CSMF qui avait un positionnement « entre-deux ». Elle veut être un partenaire privilégié tout en s’opposant. Elle ne s’est pas associée à certaines actions de grève tout en prônant l’unité professionnelle. Pas simple.

Ce nouveau rapport de forces compliquera-t-il les prochaines négociations conventionnelles ?

Ce n’est pas un bouleversement total. MG France par exemple est stable depuis 2000. Et la CSMF, même si elle est affaiblie, reste la centrale polycatégorielle qui peut représenter l’ensemble de la profession. Mais il y a une radicalisation qui ne facilite pas les choses d’autant que le gouvernement ne reculera pas sur le tiers payant. Qui portera la convention 2016 ? La situation me semble plus compliquée. Si la CSMF avait emporté les élections en étant renforcée, sur une ligne moins contestataire, cela aurait été plus simple. Je souhaite bon courage au directeur de la CNAM !

Propos recueillis par Cyrille Dupuis

Source : Le Quotidien du Médecin: 9443