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Pr Delfraissy (CCNE) : « Au nom de quoi on ne répondrait pas à une forme de souffrance des couples de femmes et des femmes seules ? »

Publié le 27/09/2018
Chat Delfraissy CCNE

Chat Delfraissy CCNE
Crédit photo : S. Toubon

Le Comité consultatif national d’éthique a rendu son avis, mardi 25 septembre, sur la révision de la loi bioéthique. Son président, le Pr Jean-François Delfraissy, était ce mercredi dans les locaux du « Quotidien » pour répondre aux questions des internautes sur le sujet au cours d’un live chat exceptionnel. Pendant plus d’une heure, il s’est expliqué sur les prises de position du CCNE.

Live chat avec Pr Jean-François Delfraissy

Journaliste QDM (SL)
Bonjour à toutes et à tous.
Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu, hier, un avis très important sur la révision des lois de bioéthique. Nous accueillons aujourd’hui son président, le Pr Jean-François Delfraissy. AMP, fin de vie, recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaire, génomique… Il répond à vos questions en direct.
 
Journaliste QDM (SL)
Le Pr Delfraissy est présent à la rédaction du « Quotidien ».Live chat avec Pr Jean-François Delfraissy
 
Journaliste QDM (SL)
Bonjour Pr Delfraissy. Merci d’avoir accepté notre invitation.
Pr Jean-François Delfraissy
Bonjour à tous, l'avis 129 du CCNE est la phase finale des États généraux de la bioéthique qui avaient démarré en janvier 2018. Il y avait une première étape pour écouter les citoyens et recueillir leurs positions. Cela a fait l'objet d'un rapport de synthèse en juillet 2018. Puis le CCNE a souhaité donner son avis hier, mardi 25 septembre [lire l'avis du CCNE, NDLR].
Jon
Pr Delfraissy, pensez-vous que le CCNE a répondu de manière représentative aux avis des Français exprimés lors des états généraux de la bioéthique ?
Pr Jean-François Delfraissy
Les États généraux n'étaient pas un sondage. Ils reflètent l'opinion de ceux qui ont participé. L'avis du CCNE, c'est autre chose.
Dr Georges C.
Bonjour monsieur. Vous expliquez qu'il faut ouvrir la PMA aux couples féminins pour pallier une souffrance qu'ils expriment et qu'elle doit être prise en charge médicalement. Mais notre confrère Michel Aupetit, qui est aujourd'hui archevêque, dit que cette souffrance ne saurait être mise sur le même plan que celle des couples infertiles. Y aurait-il des souffrances médicalisables et d'autres qui ne le sont pas ? Comment trancher sur ce qui doit être médicalisé et qui relève de notre exercice professionnel ? Quelle ligne de démarcation éthique et médicale ? Merci de m'éclairer.
Pr Jean-François Delfraissy
Mgr Aupetit est un confrère. Il est aussi archevêque. Le CCNE respecte evidemment complètement l'opinion sur ce sujet de la hiérarchie catholique. C'est une opinion importante, mais c'est une opinion parmi d'autres.

L'église catholique n'accepte pas non plus l'utilisation de l'AMP chez les couples d'hétérosexuels.

Alors même que nous avons plusieurs dizaines de milliers de FIV en France depuis plusieurs années. Le CCNE a bien sûr écouté l'ensemble des arguments.

Il a été sensible au fait que l'enfant, lorsqu'il est là, quel que soit le type de couple qui en est à l'origine, a été souhaité. La dignité de l'enfant est un élément essentiel qui n'appartient ni aux uns, ni aux autres.

Au nom de quoi on ne répondrait pas à une forme de souffrance des couples de femmes et des femmes seules ? On peut noter que c'est aussi l'avis récent du CNOM.
Dr Zebulon
En matière de PMA, ne faudrait-il pas mettre en place une clause de conscience pour les médecins désirant ne pas mettre en œuvre cette pratique pour des raisons d'éthique personnelle, comme c'est déjà le cas pour l'IVG ?
Pr Jean-François Delfraissy
Pourquoi pas. Si un certain nombre de médecins ne souhaitent pas s'engager dans la PMA [ou AMP, assistance médicale à la procréation, NDLR], je pense qu'il faut respecter cette volonté. Mais ne nous trompons pas, le problème de l'ouverture de l'AMP dépasse largement cette position d'une minorité de médecins. Et la majorité des gynécologues sont plutôt en faveur de l'arrivée de ces nouvelles technologies dans la procréation.
sancha pensa
Quelle est votre position sur la clause de conscience puisque, selon vos déclarations, la conscience du bien et du mal vous échappe ?.
Pr Jean-François Delfraissy
Je n'ai pas dit que le bien et le mal m'échappaient. J'ai dit seulement que le CCNE n'était pas là pour indiquer ce qu'était le bien et le mal. De la même façon qu'il faut prendre nos recommandations comme plutôt une "mise sur la table " des enjeux qui se posent, et des tentatives d'éclairage pour les politiques qui ont à décider. Bien sûr, les grands fondements de l'éthique, j'y suis parfaitement sensible. Très régulièrement, j'essaie d'indiquer à mes petits enfants ce qui est le bien et le mal au quotidien.
Dr TF
Comment expliquer que la loi sur la fin de vie soit encore si mal connue des médecins ?
Pr Jean-François Delfraissy
Très bonne question. La loi est récente. Les décrets d'application sont encore plus récents. Et l'enjeu de la fin de vie, pour différentes raisons, n'a pas été considéré comme une priorité nationale jusqu'à maintenant, alors que c'en est une, très clairement. Nous avons insuffisamment de lits de soins palliatifs (SP) en France, les SP externalisés hors l'hôpital sont trop peu fréquents, le lien entre les EHPAD et les unités de SP peuvent être optimisés.

Le CCNE pense que c'est un sujet difficile pour les médecins qui sont formés fondamentalement à essayer de sauver des vies, plus qu'à accompagner la fin de vie. C'est ça qu'il faut changer, cette vision générale qu'il faut changer. L'accompagnement de la fin de vie, des patients, de leur famille, est un enjeu majeur pour chacun des professionnels de santé.
Dr Yves T
Quelle doit être la place du numérique dans l’exercice du médecin ? Quels sont les risques et opportunités pour la relation patient médecin ?
Pr Jean-François Delfraissy
Merci pour cette question, qui nous change de la PMA...

Numérique et santé, c'est une vraie révolution pour notre métier, dont nous n'avons pas encore totalement pris conscience. C'est la raison pour laquelle le CCNE a souhaité inscrire ce thème dans la révision de la loi de bioéthique pour la première fois. De nouveaux acteurs majeurs, étrangers au médical, les GAFA, viennent d'apparaître sur ce nouveau marché.

Beaucoup de jeunes start-up travaillent dans ce domaine, alors qu'elles connaissent peu le monde de la santé.

Le numérique peut être très bénéfique, à la fois pour le médecin et son patient. La force des big data est incroyable et permet d'avoir sur des cas difficiles, ou même des cas au quotidien, des visibilités diagnostiques et thérapeutiques importantes. Mais rien ne remplacera l'humain, pour les premiers contacts avec le patient. On revient à l'ancienne sémiologie...
... et à la phase ultime du dialogue et de la proposition thérapeutique qu'on va lui faire, individualisée.

Entre les deux temps, le numérique, l'intelligence artificielle vont complètement changer notre métier : ce sera le cas pour la radiologie, la chirurgie, la pharmacovigilance, etc. Le CCNE souhaite donc que le numérique soit bien accueilli dans le monde de la santé sans trop de lois, à condition premièrement, que les citoyens du non numérique, 20 % de la population en France, souvent les plus démunis, les plus âgés, ceux qui ont le plus besoin de soins, puissent continuer à bénéficier d'une prise en charge optimale. Deuxièmement, que le consentement du citoyen, ou du futur patient, fasse l'objet d'une attention particulière dans les mois qui viennent (et non des années). La France a une base de données en big data parmi les plus importantes au monde. C'est une chance mais aussi un devoir pour les décideurs de respecter l'humain.
Dr Yves T
Si je me sers d’un logiciel d’aide au diagnostic et à la prescription face à un patient et que je me trompe, sur qui retombera la faute ?
Pr Jean-François Delfraissy
Très bonne question qui n'est pas résolue. C'est la même chose pour un chirurgien, et pour un radiologue. Pour l'instant, c'est assez simple, c'est le médecin qui est responsable, qui prend en charge le patient. Dans un deuxième temps, ce sera plus complexe : que veut dire signer un consentement vis à vis d'un robot chirurgien. Il va falloir que nous réfléchissions tous ensemble, avec le milieu des assurances pour approfondir cette question.
Michel B
Pensez-vous que la médecine doit aider la personne humaine grâce à sa science et ne pas se mêler de religion et de philosophie ? En d'autres termes chacun son métier !
Pr Jean-François Delfraissy
Oui, je pense cela, tout à fait. Nous avons chacun nos opinions, en tant que médecin. Des cultures qui sont différentes. Mais notre métier de médecin est fondamentalement pour entourer, accompagner le patient dans sa maladie, indépendamment de nos croyances.
Pierre
La légalisation de l'euthanasie permettrait aux médecins de donner le dernier soin sans être sous la menace de des tribunaux, et aux patients de pouvoir mourir en douceur (pour ceux qui le souhaitent).
Pr Jean-François Delfraissy
À la suite des États généraux, sur la question de la fin de vie, nous avons trouvé un certain nombre d'arguments partagés : on décède mal en France, la majorité des décès survient chez les personnes du quatrième âge, la loi Claeys-Leonetti n'est pas connue ni appliquée, il n'y a pas suffisamment de lits ni de moyens pour les soins palliatifs. Le CCNE a donc pensé que la priorité était d'utiliser les moyens existants, la loi Claeys-Leonetti, pour essayer d'améliorer les conditions de la fin de vie chez la majorité de nos concitoyens.

il existe par ailleurs un certain nombre de situations trés difficiles chez des sujets jeunes atteints d'affections neurologiques ou on peut penser que la loi de 2016 n'apportera peut être pas une réponse suffisante. Faut-il encore en être sûr, puisqu'elle n'est pas encore appliquée pour l'instant. C'est la raison pour laquelle nous réclamons un plan « fin de vie » digne de ce nom, mais aussi une recherche de santé publique urgente sur ces situations exceptionnelles.

Enfin, il existe encore une troisième situation qui est réclamée par certains citoyens : notre fin de vie nous appartient, indépendamment d'une maladie x ou y, si nous souhaitons y mettre fin. Le CCNE n'est pas rentré dans ce débat lors de cet avis car il n'en avait pas le temps matériel. Cela pose le problème de l'autonomie des personnes alors qu'au niveau sociétal, la société fait tout pour limiter le nombre de suicides. On est donc bien dans l'enjeu de cette loi de bioéthique : comment allier autonomie des personnes et vision sociétale.
Journaliste QDM (SL)
Live chat avec Pr Jean-François Delfraissy
 
GPA
Pourquoi ne pas ouvrir la réflexion sur une GPA médicale, pour des femmes nées sans utérus, par exemple ?
Pr Jean-François Delfraissy
C'est une question qui est probablement posée par un spécialiste. C'est une maladie très particulière qui touche un tout petit nombre de femmes. Certains gynécologues souhaitent ouvrir une GPA "éthique". Ces femmes, comme les autres, ont peu de chances d'avoir accès à l'adoption. Le CCNE n'a pas abordé ce problème et a une position très claire sur la GPA en général, et a confirmé son avis négatif sur la mise ne place de la GPA en raison du principe général de la non marchandisation du corps.

Dans le même temps, le CCNE souhaite que l'État français trouve toutes les conditions juridiques d'accueil pour les enfants nés de GPA à l'étranger.
sancha pensa
Les médecins vont-ils devenir les hochets des exigences sociétales, instrumentalisés, et soumis aux convenances personnelles non médicales ? Seront-ils les mains d'une médecine déviée de ses finalités thérapeutiques ?
Pr Jean-François Delfraissy
J'avais plutôt l'impression qu'on accusait les médecins de devenir des techniciens qui imposaient aux malheureux citoyens des décisions médicales qu'ils ne comprenaient pas... Les États généraux nous ont d'ailleurs montré que pour la première fois il y avait en France, un sentiment de méfiance qui commençait à s'installer vis à vis du pouvoir médical et scientifique. Ce fait existe déjà depuis de nombreuses années dans le monde anglo-saxon.

Le médecin devra donc continuer à exercer un équilibre difficile entre son rôle de sachant et d'expert, qui reste fondamental, son rôle d'écoute de son patient, mais aussi de sa famille. C'est à mes yeux ce qui fait la beauté et la grandeur de notre profession.
Arnaud Nyme
Que faire face à un patient qui arrive avec un test ADN acquis sur internet ?
Pr Jean-François Delfraissy
Très bonne question. Il faut savoir que les tests accessibles sur internet, à des prix qui baissent, sont interdits par la loi française... qui est incapable de contrôler l'application de cette interdiction. On a même des publicités sur les chaines TV de quelque chose d'interdit ! Actuellement, il faut savoir que ces tests sont réalisés par une majorité de compagnies américaines, irlandaises, ou israéliennes. Ce ne sont plus de petites start-up, mais de grosses compagnies, de business, efficaces, assez fiables, et qui rendent des résultats en toute transparence.

Cet examen a été réalisé sans prescription médicale. Et on vient vous demander ensuite ce que vous en pensez. Et si vous n'êtes pas spécialiste, vous n'en penserez rien, car vous ne savez pas. Une première remarque, qui peut être dite à ces patients, est que contrairement à ce qui est écrit, notre avenir n'est pas seulement dans nos gènes. La génomique est un superbe outil, mais elle ne prédit pas la survenue d'une maladie, d'une pathologie, avec un intervalle de confiance proche de zéro. Ce n'est qu'une valeur prédictive. Donc il faut expliquer au patient ce qu'est une valeur prédictive.... donc on est bien dans l'incohérence. C'est la raison pour laquelle le CCNE a souhaité que soit mis en place un cadre qui tienne compte de ces évolutions technologiques et qui permette en particulier aux personnes qui ont un projet d'enfant de pouvoir accéder sous contrôle médical, dans des bases de données françaises, à un test de dépistage à haut débit.

La génomique est un enjeu majeur, pour la médecine de demain, qui va être de plus en plus prédictive. Un encadrement est donc nécessaire. Continuer à l'interdire ne correspond pas à la réalité du temps. Mettre en place un encadrement souple qui permette des recherches par des équipes françaises paraît une proposition raisonnable. On en revient toujours à cette relation patient-médecin.
Bertrand
Bonjour Pr. Grâce à CRISPR-CAS9 il est aujourd'hui "facile" de modifier génétiquement toutes les cellules... Comment sont ou seront autorisées, ou non, les expériences ?
Pr Jean-François Delfraissy
CRISPR CAS 9, ce sont les ciseaux génétiques qui permettent d'exciser ou de réimplanter un bout d'ADN dans notre génome. C'est une formidable découverte, en partie française. C'est une technique qui est assez simple et qui peut être utilisée sur d'autres génomes que l'humain, en particulier bactériaux, viraux, ou de plantes.

Chez l'homme, il y a un consensus pour les utiliser sur les cellules somatiques. On est là possiblement dans la médecine de demain. Cela ne pose pas de problème majeur au plan éthique.
La question est leur utilisation sur les cellules de la lignée germinale, c'est à dire sur nos gamètes. Car on peut, en modifiant le génome à ce stade, modifier les caractères génétiques de la descendance.

Le CCNE a émis un avis favorable sur l'utilisation de ce type de technique dans le cadre de la recherche sur l'embryon, sur les embryons surnuméraires, à la stricte condition qu'il n'y ait aucun projet parental, pas d'implantation de ces embryons. Globalement, la communauté scientifique mondiale a donné un feu rouge aux expériences qui voudraient réinjecter des embryons modifiés par CRISPR CAS 9. On ne sait pas très bien ce qui se passe en Chine. C'est un point éthique majeur que n'a pas envie de dépasser la communauté scientifique, comme l'est le clonage humain.

Pour la suite, il va falloir voir ce qu'il se passe car on peut imaginer que des familles qui ont une pathologie donnée, considèrent que l'excision d'un gène pathologique sur un embryon, relève plus du domaine thérapeutique, que du domaine de l'eugénisme. Mais pour l'instant, la réponse est non.
h.d.
Je suis médecin coordonateur dans un EHPAD, médecin généraliste juste retraité. Les protocoles des "directives anticipées" sont particulièrement intrusives, angoissantes, une véritable double peine (entrée en EHPAD et décision des soins de fin de vie). Est-ce obligatoire ? Peut-on simplement préciser être contre la loi LEONETTI, sinon elle s'applique par défaut ? (Comme pour les dons d'organes).
Pr Jean-François Delfraissy
Vous soulevez là la question essentielle aux yeux du CCNE de la relation entre EHPAD, fin de vie et unités de soins palliatifs, avec des situations trés variables, sur qui fait quoi, au sein de notre système de soins français.

Vous soulevez aussi la question de la position des équipes soignantes d'un EHPAD, qui ont accompagné pendant des années un(e) patient(e) et qui souhaitent ou ne souhaitent pas, jouer un rôle actif à cette période de fin de vie. Il n'y a pas de bonne réponse, et il y a plusieurs modèles possibles. À condition que les unités de soins palliatifs puissent s'externaliser hors de l'hôpital. Il y a une certaine lourdeur des directives anticipées (DA), mais comme vous le savez, elles sont surtout non connues, et non données. On estime que 10 à 12 %, y compris chez les personnes du quatrième âge, ont donné des DA. C'est là le point à optimiser dans ce futur plan Soins palliatifs.
Pr Tartempion
Ne pensez vos pas qu'il serait opportun de mettre en place une cohorte de suivi des enfants nés d'une PMA dans un couple monoparental ou homoparental ? Cela permettrait d'évaluer sur le long terme le devenir psychologique des enfants et, le cas échéant, de calmer certaines craintes.
Pr Jean-François Delfraissy
Très bonne question. On manque en effet de données. Nous n'avons rien en France ! Il y a plusieurs petites études en Angleterre et aux États-Unis qui sont en général des courtes séries (n=30, n=50) avec des suivis de courte durée. Ces résultats sont très rassurants, il n'y a aucun signal d'alerte sur le devenir de ces enfants, mais néanmoins ces études méritent d'être validées par une cohorte de plus grande ampleur. C'est ce que demande d'ailleurs le CCNE : plus de recherche en France sur ces questions sociétales.
Dr TF
Faut-il davantage enseigner l'éthique dans les facs de médecine ? Les médecins sont-ils assez sensibilisés à ces questions et comment les sensibiliser davantage alors que leurs conditions de travail sont très compliquées aujourd'hui ?
Pr Jean-François Delfraissy
Oui, il n'y a quasi aucun enseignement de la bioéthique dans nos facultés de médecine actuellement. C'est un échec français majeur. Les infirmier(e)s sont beaucoup mieux formé(e)s, les pharmaciens, trés peu, les kinés, pratiquement pas.

Le constat est assez désolant. Il s'explique par l'importance majeure qu'avait jusqu'à maintenant l'examen classant national (ECN) pour les choix de spécialité.

On a une opportunité magnifique de modifier cela à l'occasion des annonces du plan santé 2022, puisqu'il y aura une plateforme multidisciplinaire de formation, qui va permettre un peu d'espace libre pour les questions sociétales, dans la formation de ces professionnels de santé.

Le dernier élément, était le profil de sélection des étudiants en médecine. Lui aussi peut changer avec la suppression de l'examen de première année, qui va permettre de laisser plus de place à des étudiants venant pas seulement du milieu mathématiques mais aussi des sciences humaines. C'est ce que font les grandes universités américaines , depuis 7 à 8 ans, avec un recrutement de 20 % de philosophes en médecine, qui permettent d'avoir un autre regard et une autre vision de notre métier. Bien sûr, il y a quelques exceptions dans le modèle français mais elles sont peu nombreuses.
Popeye
Le Comité d'Ethique plaide pour la levée de l'anonymat sur les dons de sperme et pour l'extension de la PMA à toutes les femmes. Ne craignez-vous pas que ces deux mesures n'entrainent au final une pénurie de donneurs ?
Pr Jean-François Delfraissy
Si probablement, dans un premier temps. C'est ce qui est d'ailleurs arrivé en Angleterre et en Hollande. Ces deux pays ont fait une intense communication sur le don et en particulier, sur le don de sperme et le niveau des donneurs est revenu, voire a augmenté en Angleterre. S'il y a une ouverture vers ces deux sujets, il faut l'anticiper et se donner les moyens d'une politique très active pour le don.

On doit noter que le profil des donneurs de sperme s'est modifié ces dernières années et on peut imaginer qu'il y ait de nouvelles modifications dans une période plus de pénurie. Le CCNE souhaite garder un don gratuit - fondement de l'éthique à la Française - mais il faut noter que ce n'est pas le cas dans des pays européens, proches de nous.
Journaliste QDM (SL)
Ce chat est sur le point de se terminer. Dernière question au Pr Delfraissy :
 
-- cyrdups
La société et les progrès scientifiques évoluent souvent plus vite que la loi. Demain, faudra-t-il réviser les lois de bioéthique tous les ans?
Pr Jean-François Delfraissy
La science évolue. Très vite. Doublement des connaissances en biologie santé tous les 5 ans. La société évolue plus vite qu'avant, mais pas forcément sur les mêmes sujets que la science. Et la bioéthique se situe pour tenter de trouver un équilibre entre ces deux visions. Toute la science n'est pas bonne à prendre, à un temps donné. Tous les désirs de la société ne peuvent être accompagnés par la médecine.

Le modèle français est assez unique d'une révision tous les 7 ans, nous demandons tous les 5 ans. Tous les pays européens font des lois séparées : une sur le génome, l'autre la procréation. Ils nous envient tous beaucoup d'avoir un RDV tous les 7/5 ans entre les experts, la société civile, le politique, même si c'est parfois tendu. Le CCNE trouve que ce modèle est un modèle solide : de plus en plus, les grands problèmes éthiques sont interdisciplinaires.

Interdisciplinaires ? Parce qu'on associe données génomiques, big data, procréation. On associe données génomiques, neurosciences, IRM Fonctionnel. Données génomiques et recherches sur l'embryon. Les sujets ne sont plus par silos, mais par grandes avancées de connaissances. Il est essentiel d'avoir une vision globale.
Journaliste QDM (SL)
C'est fini pour aujourd'hui. Pr Delfraissy, le mot de la fin ?
Pr Jean-François Delfraissy
C'est un message pour les médecins généralistes en particulier, puisque le CCNE a beaucoup écouté les spécialistes, lors des Etats généraux. Les généralistes, vous avez un rôle majeur dans cette future médecine de prévention avec des outils extraordinaires que vous connaissez plus ou moins bien, qui arrivent. On souhaite à partir de début 2019, dans la poursuite des Etats généraux, consacrer du temps avec vous pour une réflexion commune. Je vous dis : à bientôt !
Journaliste QDM (SL)
Merci à tous d’avoir participé à ce chat. Désolé de ne pas avoir relayé toutes vos questions et remarques, très nombreuses aujourd'hui !

Merci au Pr Delfraissy d’avoir accepté notre invitation. Rendez-vous le mois prochain pour un nouveau chat, avec un nouvel invité.

 


Source : lequotidiendumedecin.fr
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