Légalisation du cannabis, qu’en pensent les psychiatres ?

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Publié le 25/02/2022
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Alors que certains pays européens viennent ou sont sur le point de libéraliser le marché du cannabis, on peut se poser la question de l’intérêt d’une légalisation du cannabis en France. C’est ainsi qu’une enquête a été menée auprès des psychiatres. Les résultats préliminaires ont été dévoilés par la Dr Léa Leclerc (Lyon) qui a obtenu le Prix du Congrès de l’Encéphale.
Les teneurs en THC proposées ont tendance à augmenter dans les États réglementaristes

Les teneurs en THC proposées ont tendance à augmenter dans les États réglementaristes
Crédit photo : phanie

Le sujet de la légalisation du cannabis revient périodiquement au cœur de l’actualité. Cependant, alors que les psychiatres sont souvent au contact des consommateurs de cannabis, très peu d’études leur ont demandé leur avis.

Le questionnaire co-construit par la Dr Léa Leclerc et le Pr Benjamin Rolland (service universitaire d’addictologie de Lyon) a été mis en ligne sur le site de l’Encéphale. Les résultats, présentés au congrès, ont inclus les réponses de près de 400 psychiatres. 80 % d’entre eux indiquent recevoir en consultation plusieurs consommateurs de cannabis chaque semaine. 40 % en reçoivent au moins un par jour.

Une majorité favorable à l’usage médical et récréatif

Les résultats montrent qu’une large majorité de psychiatres (77 %) sont favorables à la légalisation du cannabis à usage médical (tout comme la population française : 78 % selon les données Ifop 2021). Une majorité (53 %) sont également favorables à la légalisation du cannabis à usage récréatif

(47 % dans la population française). Seuls 11 % sont favorables au maintien de la législation actuelle. À la question, « d’après vous quel impact global aurait la légalisation du cannabis récréatif sur la société ? », ils sont 38 % à penser que l’impact serait plutôt positif, 8 % très positif, vs. 28 % plutôt néfaste et 8 % très néfaste. Les psychiatres favorables à la légalisation évoquent une diminution du développement du marché noir et de la criminalité, la possibilité de faire de la prévention et de mieux protéger les populations vulnérables comme les adolescents ainsi qu’un meilleur contrôle de la qualité des produits. Ceux qui y sont défavorables évoquent leurs craintes d’effets sur la santé et les conséquences sociétales (accidents de la route, violences, décrochage scolaire…).

En ce qui concerne le lien entre légalisation du cannabis récréatif et hausse des troubles psychotiques, les avis sont partagés : 46 % des psychiatres ayant répondu pensent que ce lien existe, 42 % ne sont pas d’accord et 12 % n’ont pas d’avis.

Quant à la distribution du cannabis récréatif, les boutiques spécialisées sont citées en premier (64 %), loin devant les pharmacies (25 %) et les bureaux de tabac (16 %).

Un facteur de risque de développement de psychoses

Dès 1987, Andreasson et al. avaient suivi des conscrits suédois pendant 15 ans, et ainsi montré que la consommation de cannabis multipliait par six le risque d’apparition de troubles psychotiques à 18 ans. Et, plus la consommation était élevée, plus le risque l’était.

Deux nouvelles analyses de ces données ont été faites — par Zammit et al., en 2002, et par Hjorthoj et al., en 2021 — avec ajustement sur de nombreuses variables (traits de personnalité, repli social, comportement bizarre, autres substances, tabac…). Les résultats montrent toujours une association entre la proportion de cas de schizophrénie et la consommation de cannabis, avec une relation dose-effet. « Une métaanalyse de référence (Moore et al., 2007) confirme bien que l’usage fréquent de cannabis est très associé à un risque ultérieur de psychose (RR = 2,10). L’effet est moins clair sur les autres troubles psychiatriques. Le cannabis est un facteur de risque et un facteur aggravant », a expliqué le Dr Baptiste Pignon (Créteil).

Effet incertain de la libéralisation sur les troubles psychiatriques

Dans l’Union européenne, les législations sont très contrastées. La sévérité des peines encourues pour l’usage et/ou la possession de petites quantités de cannabis diffère fortement d’un pays à l’autre. Aux États-Unis, la situation varie selon les États. Huit autorisent le cannabis à des fins récréatives et médicales (Washington, Oregon, Nevada, Californie, Colorado, Massachusetts, Maine, Alaska).

Une étude américaine s’est ainsi intéressée à l’effet de la légalisation de cannabis récréatif sur la consommation (1). On observe, après ouverture, une augmentation des consommations, qui prédomine chez les sujets de 26 ans ou plus. Chez les sujets plus jeunes, l’impact n’est pas significatif. On constate aussi une augmentation très nette de la teneur en THC, à la suite de la légalisation.

« Quant à savoir si l’incidence des troubles psychotiques a augmenté depuis la légalisation, les études sont beaucoup moins nombreuses et il n’y a pas assez de recul, a souligné le Dr Baptiste Pignon (Créteil). Une étude observationnelle québécoise a comparé les consultations de psychiatrie aux urgences pendant 5 mois en 2016, vs. 5 mois immédiatement après la légalisation, en octobre 2018 (2). Les résultats montrent qu’il n’y a pas d’augmentation du taux de consultations pour troubles psychotiques, ni pour les autres troubles psychiatriques, mais une augmentation des troubles liés à l’usage du cannabis. »

Une autre étude a comparé la santé et l’utilisation des soins de santé dans le Colorado, le premier état à légaliser le cannabis récréatif, par rapport à deux États témoins, New York et Oklahoma (3). La légalisation du cannabis récréatif est associée à une augmentation des troubles liés à l’usage du cannabis, des troubles liés à l’usage de l’alcool, à une diminution des admissions pour douleurs chroniques ainsi qu’à une absence d’évolution des consultations pour troubles psychiatriques.

Enfin, une étude de cohorte danoise récente (plus de 7 millions de personnes incluses de 1972 à 2016) montre l’évolution du risque populationnel de psychose attribuable au cannabis qui est passée d’environ 2 % jusqu’en 1995 à environ 6-8 % depuis 2010 (4). Le débat reste ouvert.

Plusieurs types de législations

La France est à la fois le pays d’Europe le plus répressif et celui qui a le plus grand nombre d’usagers (900 000 usagers quotidiens) du cannabis. « On a un droit autopoïétique. Pour lutter contre l’usage de cannabis, le principe est qu’il faut la prohibition et la prohibition n’a cessé d’être renforcée : une loi tous les 6 mois depuis 51 ans ! a dénoncé Yann Bisiou (Montpellier). Il y a une augmentation des faits constatés mais, en pratique, l’amende forfaitaire délictuelle (seules 104 payées/j) ne concernerait qu’un pétard sur 9 914 ! »

Que faire ? Chaque pays a sa politique, de la prohibition à la légalisation. On observe une forte tendance à la légalisation au Canada, en Uruguay, au Portugal et en Suisse. Les effets sur le trafic dépendent du modèle de légalisation. Au Québec, la légalisation est contrôlée par l’état avec pour résultat, une baisse de la consommation chez les mineurs et près de 53 % du marché réorienté vers l’offre légale. Un exemple à suivre ?

Session « Légalisation du cannabis : vers une épidémie de psychoses ? »

(1) Cerda M. et al. Jama Psychiatry 2020;77(2):165-71

(2) Vignault C. et al. Can J Psychiatrie 2021

(3) Delling F. BMJ Open 2019

(4) Hjorthoj et al. Jama Psychiatry 2021

Dr Christine Fallet

Source : Le Quotidien du médecin