Cancer du sein : les anticorps conjugués bouleversent les pratiques !

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Publié le 06/07/2022
Dans les tumeurs du sein métastatiques, les anticorps conjugués ont profondément marqué l’édition 2022 de l’ASCO. Dans une population cible redéfinit et encore peu étudiée, un nouveau standard voit le jour. Avec un bénéfice retrouvé chez plus de moitié des patientes, l’ensemble de la stratégie thérapeutique se trouve bouleversé…
Par rapport à la chimiothérapie, le risque de progression est réduit de 49 % sous trastuzumab deruxtecan

Par rapport à la chimiothérapie, le risque de progression est réduit de 49 % sous trastuzumab deruxtecan
Crédit photo : phanie

Conjugaison d’un anticorps monoclonal anti-HER2 et d’un inhibiteur de la topoisomérase I, le trastuzumab deruxtecan (T-Dxd, Enhertu) ne bénéficie actuellement en métastatique qu’aux tumeurs surexprimant fortement HER2, soit environ 15 à 20 % seulement des cancers du sein. Ces tumeurs possèdent soit un score 3+ en immunohistochimie (IHC), soit 2+ avec une surexpression confirmée par hybridation in situ (HIS+). Mais l’étude de phase 3 DESTINY-Breast 04 (1) rebat les cartes ! Ovationnée en session plénière, elle a été menée chez les patientes « HER2-low », surexprimant faiblement HER2 (score IHC 1+ ou IHC 2+ HIS-). Selon le Pr Giuseppe Viale (Milan, Italie), « 61,2 % des patientes précédemment catégorisées comme HER2 négatives sont HER2-low » (2).

Un nouveau standard chez plus de moitié des patientes

Prétraitées par chimiothérapie, les 557 patientes métastatiques incluses dans DESTINY-Breast 04 (1) recevaient soit le T-Dxd, soit une chimiothérapie au choix du médecin. Dans la cohorte ayant des récepteurs hormonaux (RH) positifs (89 % des sujets inclus), la survie sans progression (SSP) atteignait 10,1 mois sous T-Dxd versus 5,4 mois sous chimiothérapie (p < 0,0001), soit une réduction de 49 % du risque de progression ou de décès. La survie globale (SG) était prolongée de plus de six mois (23,9 versus 17,5 mois, p = 0,0028), diminuant de 36 % le risque de décès. Ce bénéfice est retrouvé sur l’ensemble de la cohorte, avec une baisse de 50 % du risque de progression (SSP : 9,9 versus 5,1 mois, p < 0,0001) et de 36 % du risque de décès (SG : 23,4 vs 16,8 mois, p = 0,001). Il est également constaté chez les patientes de mauvais pronostic, avec des RH négatifs (SSP : 8,5 versus 2,9 mois ; SG : 18,2 versus 8,3 mois). Parmi les toxicités, davantage de nausées (73 % versus 24 %) et de pneumonies (12 % versus 1 %) ont été rapportées. « T-Dxd est la première thérapie ciblant HER2 à démontrer, versus chimiothérapie, une amélioration sans précédent, statistiquement et cliniquement significative, de la SSP et de la SG, a conclu la Dr Shanu Modi (New York) lors de sa présentation en session plénière. DESTINY-Breast 04 établit les cancers du sein métastatiques HER2-low comme une nouvelle population cible, avec T-DXd comme nouveau standard ».

Plusieurs molécules prometteuses

Par ailleurs, l’étude de phase 3 TROPiCS 02 a évalué le sacituzumab-govitecan (3), anticorps anti-Trop-2 conjugué à la chimiothérapie SN38 (inhibiteur de la topoisomérase I), qui bénéficie en France d’un accès précoce dans les cancers du sein métastatiques triple négatifs (CSTN). Chez 543 patientes avec des RH positifs et HER2 négatives, lourdement prétraitées au stade métastatique, le sacituzumab-govitecan prolonge la SSP par rapport à la chimiothérapie (5,5 versus 4 mois, p = 0,0003), soit une réduction de 34 % du risque de progression. « À 12 mois, c’est trois fois plus de patientes en SSP (21 % versus 7 %), avec un bénéfice retrouvé dans tous les sous-groupes », précise le Pr Jean-Yves Blay, président d’Unicancer. Par contre, la SG n’était pas améliorée. Dans les CSTN (HER2 et RH négatifs) lourdement prétraités (529 patientes), le sacituzumab govitecan a également montré une réduction de 61 % du risque de progression (SSP : 5,6 versus 1,7 mois ; p < 0,0001) et de 52 % du risque de décès (SSP : 12,1 versus 6,7 mois, p < 0,0001), selon l’étude de phase III ASCENT (4).

Dans les cancers du sein métastatiques surexprimant HER3 (30 % à 50 % des tumeurs mammaires), un autre anticorps anti-HER3, le patritumab, conjugué au deruxtecan, a été évalué en phase 1/2 chez 182 patientes lourdement prétraitées (5) : 113 étaient RH+/HER2-, 53 RH-/HER2- (CSTN) et 14 HER2+. Les signaux d’activité s’annoncent là aussi prometteurs, avec des taux de réponses respectivement de 30,1 %, 22,6 % et 42,9 %. Alors que la SSP atteignait 7,4 mois, 5,5 mois et 11 mois, la SG s’élevait à 14,6 mois dans les deux premiers groupes (19,5 mois si HER2+). Les effets secondaires étaient principalement hématologiques et digestifs.

« Ces nouvelles molécules, qui se développent rapidement, représentent une approche très prometteuse dans les adénocarcinomes du sein et probablement dans d’autres tumeurs exprimant les mêmes antigènes, conclut le Pr Blay. Elles sont transformantes au-delà du cancer du sein. Mais comment les choisir, les comparer et les intégrer dans des recommandations pratiques ? »

(1) Modi S et al. New Engl J Med, 5 juin 2022
(2) Viale G et al, poster 465
(3) Rugo HS et al, abstr LBA 1001
(4) Bardia A et al, abstr 1071
(5) Krop IE et al, abstr 1002
(6) Brain E et al, abstr 500

Karelle Goutorbe

Source : Le Quotidien du médecin