Quels sont les risques avérés des IPP ?

Par
Publié le 18/03/2022
Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) ne cessent de faire l’objet de soupçons à propos d’effets secondaires plus ou moins sévères. Comment démêler le vrai du faux sur leur iatrogénie au long cours ?
Le cancer gastrique est un risque en cas de traitement au long cours, mais seulement en présence d’Helicobacter pylori

Le cancer gastrique est un risque en cas de traitement au long cours, mais seulement en présence d’Helicobacter pylori
Crédit photo : GASTROLAB/SPL/PHANIE

Commercialisés en 1989, les IPP sont largement prescrits en ville et à l’hôpital, parfois à mauvais escient. Ils sont incriminés dans la survenue d’effets indésirables (EI) extra-gastriques ou liés à l’achlorhydrie induite. « La première règle pour lutter contre la iatrogénie est le bon usage, rappelle le Dr Gilles Macaigne (Jossigny). Or, entre 25 % et 70 % des prescriptions seraient non justifiées, et 60 % hors AMM. Les préceptes de bon sens sont de respecter les indications (ulcère gastroduodénal, éradication d’Helicobacter pylori [HP], reflux gastro-œsophagien, œsophagite érosive par reflux), d’évaluer la balance bénéfice/risque, de prescrire la dose minimale efficace et de reconsidérer régulièrement l’indication initiale ». À l’inverse, les IPP sont sous-prescrits chez les sujets âgés polymédicamentés, en prévention de la survenue d’ulcères et de complications potentiellement graves. « La longue liste d’EI potentiels attribués aux IPP n’est pas étayée par des études de qualité suffisante, reconnaît le Dr Macaigne. Des associations sont mises en évidence, sans démontrer de lien de causalité. Récemment publiée, la seule étude contrôlée, randomisée versus placebo, n’a retrouvé qu’un surrisque d’infection digestive. En l’absence d’autres essais randomisés, les niveaux de preuve incriminant les IPP dans la survenue de ces EI sont majoritairement considérés comme faibles, voire très faibles. Ainsi, lorsque l’indication de la prescription d’IPP est indiscutable, il n’y a à ce jour aucune raison de ne pas les administrer par crainte d’EI ». 

Des infections pulmonaires supposées

La colonisation du tractus gastro-intestinal supérieur par des agents pathogènes, issus de la cavité oropharyngée, serait facilitée par l’hypochlorhydrie induite par les IPP. Une translocation bactérienne, par micro-aspiration de liquide gastrique enrichi en bactéries, serait en cause. Les IPP pourraient aussi avoir un effet direct et délétère sur la fonctionnalité des leucocytes de l’arbre respiratoire. Mais en raison de nombreux biais, les méta-analyses ne peuvent confirmer ce risque d’infections pulmonaires. 

Quels effets au long cours ?

Le cancer gastrique est un risque en cas d'IPP au long cours, mais en présence d’HP uniquement. Ce surrisque est lié à̀ l’accélération de l’évolution de la gastrite chronique vers l’atrophie du corps gastrique, qui participe à̀ l’achlorhydrie. D’où la recommandation d’éradiquer HP avant la mise en route d’IPP au long cours. Des études récentes ont relancé le débat, évoquant des cancers gastriques survenus sans co-infection par HP. Ce ne sont que des spéculations, à ce stade.

D’autre part, l’association entre IPP pris au long cours et insuffisance rénale chronique (IRC) a été mise en évidence, le plus souvent par l’intermédiaire d’une néphrite interstitielle aiguë, d’insuffisances rénales aiguës à répétition, ou de l’hypomagnésémie. Deux méta-analyses (1,2) ont confirmé ce surrisque d’IRC (OR = 1,36 et 1,22) et d’insuffisance rénale terminale (OR = 1,42 et 1,88). La prudence est de mise en cas de co-médication avec des molécules néphrotoxiques ou d’IRC préexistante. 

Colites microscopiques et hypomagnésémie

Des études épidémiologiques ont révélé une association causale entre la prise d’IPP et la survenue de colites microscopiques (CM), à collagène et lymphocytaires, responsables de diarrhées chroniques. Si le lansoprazole est l’IPP le plus pourvoyeur de CM, le pantoprazole serait le moins incriminé. Tout IPP introduit au cours des quatre mois précédant le début d’une diarrhée chronique avec CM doit être stoppé ou substitué, car il n’existe pas d’effet classe.

Enfin, les IPP freinent l’absorption intestinale active du magnésium. Parmi les pistes explicatives, la modification du pH intestinal par les IPP affecterait l’enzyme, ou le canal lui-même ou la survenue d’une réaction idiosyncrasique, chez des sujets rendus plus sensibles à cause d'une mutation génétique du canal TRPM6. Le magnésium peut être supplémenté en cas de symptômes et de carence. Son dosage sanguin est indiqué en présence d’autres facteurs de risque d’hypomagnésémie.

(1) Yang Y et al. Drug Des Develop Therapy 2017;11:1291-9.
(2) Wijarnpreecha K et al. Dig Dis Sci 2017;62:2821-7.

Hélène Joubert

Source : Le Quotidien du médecin