Annick Harel-Bellan

À l’assaut des systèmes biologiques complexes

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Publié le 03/10/2016
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Annick Harel-Bellan

Annick Harel-Bellan
Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Vous avez coordonné un groupe de travail sur la « complexité du vivant », donnant lieu à un chapitre au sein du « Livre blanc pour les sciences du vivant au XXIe siècle ». Quelle en est l’idée directrice ?

ANNICK HAREL-BELLAN : Dans ce chapitre, nous évoquons les molécules, le génome non-codant, la morphogenèse et les sociétés animales. Il ressort qu’à tous les niveaux, le système vivant est basé sur les interactions entre les éléments. C’est vrai au niveau des molécules, des cellules et des individus. Et par le jeu des interactions très complexes, finalement on arrive à la construction d’un être vivant ou à la construction d’un nid de fourmis. Chaque chose est à sa place, personne ne donne d’ordre et il n’y a pas non plus de plan préconçu. Tout est basé sur les interactions : entre cellules pour la morphogenèse et entre individus pour les sociétés animales.

En quoi consiste l’étude des systèmes biologiques complexes ?

Ce qu’on entend d’abord par complexité, c’est la multiplicité des interactions entre les éléments qui aboutissent finalement à un processus. Il s’agit d’étudier les interactions et essayer de les globaliser de manière intégrée. C’est surtout un travail de modélisation où il s’agit d’intégrer de plus en plus de paramètres dans un modèle et de voir si le modèle « colle » à la réalité. On est ici dans le cadre d’études très fondamentales. Si l’on parle de biologie des systèmes et qu’on incorpore à cela les « big datas », on entre aussi dans un niveau de complexité, sauf que l’on n’étudie pas ici les interactions. On en fait un peu la cartographie. Avec l’évolution routinière et extensive du séquençage haut débit, on va pouvoir mettre des signatures sur énormément de maladies et peut être découvrir des cibles thérapeutiques auxquelles on n’avait pas pensé dans certaines pathologies.

Comment abordez-vous ces systèmes biologiques complexes dans vos travaux de recherche ?

Je travaille sur le génome non-codant et je fais aussi de la modélisation mathématique en tant que biologiste. Le génome non-codant, c’est 97 % de notre génome. Depuis 60 ans, on s’est concentré sur 3 % du génome qui sont les gènes qui codent pour les protéines. On a considéré que les 97 % restants relevaient de la « junk DNA », la « poubelle ». Mais avec les techniques de séquençage haut débit, on s’est rendu compte que pratiquement tout le génome est transcrit en ARN. Et ces ARN non-codants jouent un rôle très important dans la biologie de la cellule. C’est un domaine en pleine explosion : on n’a pas compris tous les rôles des ARN non-codants et les retombées sur les thérapeutiques sont très probables.

Où en sommes-nous aujourd’hui dans l’étude de ces ARN ?

On sait que les micro-ARN régulent l’expression d’un très grand nombre de gènes. Par essence, ils sont impliqués dans tous les aspects génétiques de la biologie. Leur dérèglement est pratiquement aussi important que le dérèglement des gènes dans les pathologies. Très étudié ces quinze dernières années, ces dérèglements de micro-ARN se retrouvent dans de nombreuses pathologies, donnant lieu à des applications au sein d’essais pré-cliniques qui peuvent aller de la cardiologie au cancer. Dans certaines maladies, on a pu montrer une sur-expression ou sous-expression des micro-ARN. On s'est par exemple rendu compte que certaines ARN non-codants étaient surexprimées dans les cancers. On est déjà à étudier leurs fonctions dans le cancer pour éventuellement les bloquer.

Propos recueillis par David Bilhaut

Source : Le Quotidien du médecin: 9522