La technologie ARNm relance les dés

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Publié le 08/04/2022
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La recherche vaccinale anti-VIH sort définitivement du tout immunité cellulaire, grâce avec la technologie ARNm et face au nouvel échec de la stratégie prime boost.
Il est désormais possible de faire produire aux cellules des anticorps neutralisants

Il est désormais possible de faire produire aux cellules des anticorps neutralisants
Crédit photo : phanie

L’irruption des vaccins à ARNm anti-Covid-19 a relancé les dés dans la recherche vaccinale anti-VIH. À cela, plusieurs raisons.

Les énormes moyens alloués très rapidement aux recherches — publiques et privées — dédiées au développement de vaccins anti-Covid-19 ont donné un coup d’accélérateur à tous les travaux. Et les techniques à ARNm ont ouvert de nouvelles pistes. Le déblocage global de fonds a permis d’accélérer nombre de recherches, notamment celles utilisant la génomique ou la protéinomique inverse, appliquée aux anticorps (Ac) neutralisants. Il s’agit pour mémoire de partir d’une protéine donnée, soit isolée soit avec son ARNm, codant pour sa biosynthèse (transcription), dans le but de fabriquer de novo un ARNm (ou sa forme simplifiée), qui fera produire par une « cellule-usine » cette protéine précise.

Résultat, on peut espérer assister prochainement à des progrès significatifs voire, enfin, à l’arrivée d’un premier vaccin anti-VIH, préventif et/ou curatif. Même si la complexité et la variabilité de l’enveloppe du VIH, plus importante que celle du Covid-19, pourrait encore une fois doucher les espoirs.

Échec retentissant du dernier candidat Ad/gp

Après les candidats vaccins de Sanofi (étude Thai, 2009) et d’Aids/Novartis (étude Uhambo, 2020), utilisant la glycoprotéine (gp19) suivie d’un boost (stratégie dite « prime boost »), puis celui développé par le NIH/VRC, avec un boost adénoviral (Ad5), le troisième vaccin hétérologue échoue encore en phase IIB. Celui-ci, Janssen Ad26/gp140, a été testé dans un essai randomisé en double aveugle en Afrique subsaharienne, sur plus de 2 600 jeunes femmes de 23 ans d’âge médian et à haut risque d’infection VIH-1 (1). Il ne met en évidence aucun effet protecteur. Le taux d’infection entre le 7e et le 24e mois après la première injection est de 4,3 %, versus 3,6 % sous placebo. L’essai a été stoppé.

Il faudra toutefois attendre les résultats de l’étude de phase 3 — Mosaico — en cours chez les transgenres et les hommes homosexuels en Europe et Amérique avant de jeter l’éponge. Cet essai, utilisant un booster modifié (Ad26/gp140 bivalent) vise plus large que le seul sous-groupe HIV-1. Mais, en ce qui concerne cette stratégie chez les Africaines, de loin les plus touchées par le Sida, la messe est dite. Comme elle l’est probablement, plus globalement, pour ce type de vaccin hétérologue prime boost Ad/gp. C’était d’ailleurs le dernier de ce type dans les tuyaux.

Données prometteuses pour une stratégie à Ac neutralisant

En plus de leur activité antivirale directe, les Ac neutralisants anti-HIV-1 pourraient bien s’avérer utiles pour développer des vaccins. En particulier s’ils peuvent amplifier la stimulation LT spécifiques et, partant de là — via les cellules dendritiques — majorer la présentation d’Ag d’intérêt aux LB. Ce qui induirait, in fine, une augmentation des réponses immunes à la fois cellulaires et humorales. Telle est l’hypothèse sous-tendant les travaux présentés à ce congrès avec des résultats, bien que très préliminaires, franchement encourageants.

Une étude a porté sur les sérums de sujets VIH+ nouvellement infectés, démarrant un traitement antirétroviral (ARV) chez lesquels a été administré en sus, ou pas, un Ac neutralisant anti-VIH-1 puissant (dits broadly neutralising ou bN-Ab), le 3BNC117 (2). Ces sujets ont été randomisés en quatre bras : ARV seul, ARV/Ac (J7, J21), ARV/romidepsine (J10, J17, J21), ARV/Ac/romidepsine. Initialement, les sérums des sujets des quatre bras sont comparables, pour les CD4+ et CD8+ anti-HIV-1, et les Ac antiprotéines Env, Gag, Nef et Pol.

Par la suite, les deux bras ayant reçu l’Ac neutralisant présentent un taux de CD8+ anti-Gag plus important, et il va même en augmentant. À 3 mois, on est à 0,7 vs. 0,3 % (= 0,04) de CD8+ anti-Gag, à 12 mois, à 0,9 vs. 0,3 % (p = 0,03). « Ce puissant Ac neutralisant anti-VIH-1 semble capable d’induire une augmentation de longue durée des CD8+ anti-Gag. Il pourrait donc bien avoir une activité vaccinale. Pour mémoire, la réponse CD8+ anti-Gag a en effet été associée au contrôle immunitaire — à la fois humoral et cellulaire  de l’infection VIH (3) », commente Myriam Rosas-Umbert (CHU d’Aarhus, Danemark et Université Rockfeller, New York, États-Unis), qui présentait ces données.

(1) GE Gray et al. Efficacy trial of mosaic HIV-1 vaccine regimen in african women : Imbokodo study. Croi 2022, Abs. 121

(2) M Rosas-Umbert et al. Administration of 3BNC117 ART initiation induces long-term HIV CD8 T-cell immunity. Croi 2022, Abs. 122

(3) L Franchitti et al. CD8+ lymphocytes modulate stemness and survival pathways in HIV-infected CD4+ cells. Croi 2022, Abs. 123

Pascale Solère

Source : Le Quotidien du médecin