Le point de vue de Gérard Pascal*

Nitrites : et si on revenait à la science ?

Publié le 02/12/2019
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L'ancien président du Conseil scientifique de l'ex-AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) stigmatise les initiatives de parlementaires visant à taxer les nitrites présents dans la charcuterie qu'il juge sans base scientifique. On confond le danger et le risque, estime ce toxicologue, qui défend par ailleurs l'utilité d'additifs de ce type pour la préservation des aliments.

Nutrition

Crédit photo : DR

On le sait, tout ce qui touche à notre alimentation déclenche facilement des réactions émotionnelles qui peuvent être disproportionnées. En proposant une « taxe sur les nitrites » pour les uns, ou en demandant encore plus radicalement leur interdiction pour d’autres, il semble que certains acteurs en vue dans nos médias l’aient particulièrement bien compris…

C’est le jeu politico-médiatique à l’occasion de la discussion de chaque PLFSS, diront certains ! Soit, mais quand on est comme moi spécialiste de la sécurité des aliments, il arrive un moment où l’on ressent le besoin d’intervenir dans une discussion qui se doit de reposer sur des bases scientifiques solides.

Sur quel « argument massue » les opposants aux nitrites font-ils reposer leur démarche ? Sur un rapport du Circ (1), qui a classé en 2015 la charcuterie dans la catégorie « cancérogène probable pour l’homme ».

Pourquoi est-ce un vice de raisonnement ? Parce que les auteurs de ces initiatives semblent mélanger deux notions bien distinctes : le danger et le risque. Quand je prends le TGV, quel est le danger que mon train déraille ? On ne peut complètement l’écarter dans l’absolu, donc il existe bel et bien. Quel en est, en revanche, le risque ? Infinitésimal, comme chacun le comprendra aisément. C’est bien cette différence qui explique que le Circ – qui identifie le danger – n’aboutisse pas aux mêmes conclusions que l’EFSA (2), qui a encore confirmé en 2017 l’innocuité des nitrites aux doses utilisées en tant qu’additifs. Car elle évalue le risque !

Un agent de conservation utile

Il faut par ailleurs rappeler que les nitrites sont des ingrédients traditionnels utilisés pour la préservation des charcuteries depuis des siècles. Ils empêchent le développement de bactéries particulièrement agressives chez l’humain, responsables notamment du botulisme dont le BEH relevait encore 70 cas en France (dont 2 décès) entre 2013 et 2016 (3). L’Anses et l’Efsa ont ainsi rappelé leur importance dans la conservation de la viande. Et de nombreux pays ont même rendu leur utilisation obligatoire dans les viandes transformées, tels l’Allemagne et l’Italie pour les recettes de jambons cuits. Enfin, des enquêtes de consommation (4) font apparaître que, même les personnes consommant de la charcuterie aux niveaux les plus élevés, ne consomment que 11,1 % de la DJA chez les adultes [9,4 %-13,6 %] et 19,6 % de la DJA chez les enfants [16 %-26,6 %].

Voilà donc les véritables termes de la discussion. Ils sont un peu techniques et protéiformes, j’en conviens, mais le scientifique que je suis ne peut continuer à regarder sans réagir l’instrumentalisation répétée de nos peurs inconscientes. Revenons donc à la science !

(1) Centre International de Recherche sur le Cancer
(2) European Food Safety Authority – Autorité Européenne de Sécurité des Aliments
(3) BEH n°3 du 6 février 2018
(4) Étude de l’alimentation totale française 2(EAT 2) Tome 2 – ANSES 2011

* Expert en sécurité sanitaire des additifs alimentaires à l’OMS, ancien directeur de recherches à la Direction scientifique pour la Nutrition humaine et la Sécurité des aliments de l’INRA.

Source : Le Quotidien du médecin