Le point de vue du Dr Jean-Michel Lecerf*

Une consommation modérée de viande rouge est compatible avec une nutrition équilibrée

Publié le 02/12/2019
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Pour ce médecin nutritionniste, le risque associé à la viande rouge demeure modéré. Et, pour l'évaluer précisément, il convient de tenir compte de l'environnement alimentaire d'une population. En France, la consommation de bœuf, veau et agneau demeure très inférieure au seuil limite, souligne-t-il. Sa conclusion : ne pas dépasser trois à quatre occasions par semaine est compatible avec une bonne santé.

Crédit photo : DR

La viande rouge fait l’objet d’attaques croissantes venant de toutes parts. On peut se rassurer en se disant que ce n’est pas nouveau (Carton la désignait en 1913 comme l’un des trois meurtriers avec l’alcool et le sucre) ; ou qu’elle n’est pas la seule à être l’objet de critiques et d’attaques ! Que faut-il en penser ? Est-ce justifié ?

Qu’appelle-t-on viande rouge ? En France, le bœuf, le veau et l’agneau, essentiellement, puisque la consommation de cheval est anecdotique. Elle ne comprend donc pas le porc, la volaille, le lapin. Le gibier en fait aussi partie. Les abats, la charcuterie sont à part. Dans les études internationales, la viande rouge comporte toutes les viandes sauf la volaille (et le lapin). Dans ces études, on distingue aussi la « unprocessed-red meat » (viande rouge non transformée) et la « processed-meat », le plus souvent qualifiée de « processed-red meat », souvent traduite par charcuterie. Mais aux États-Unis, la charcuterie n’a rien à voir avec celle consommée en France.

​On manque d’études épidémiologiques françaises sur la viande telle que consommée en France avec son environnement alimentaire. On se basera ici sur les données issues des études internationales sur la viande rouge non transformée.

Que lui reproche-t-on ? En termes de santé, sans utiliser les raccourcis d’une mauvaise vulgarisation (« la viande donne le cancer »), on retient que la consommation excessive de viande rouge est associée à une augmentation modeste du risque de survenue de cancer (colorectal principalement), de diabète de type 2 et de maladies cardiovasculaires. Certains y ajouteront d’obésité, de cholestérol etc… Qu’appelle-t-on en excès ? Pour le WCRF (Word Cancer Research Found) on parle d’excès de viande rouge pour une consommation de plus de 500 g de viande rouge (comptée cuite) par semaine.

​En termes d’environnement, on accuse la viande rouge de tous les maux : gaspillage d’eau, gaspillage des terres, pillage des terres agricoles, gaz à effet de serre…

Que penser des griefs avancés ?

Sur le plan du cancer, l’IARC (International Agency for Research on Cancer) a effectivement considéré que la viande rouge était cancérigène, mais cela signifie que le mécanisme du danger est établi, pas qu’elle donne le cancer. Ainsi cet organisme qualifie aussi l’eau très chaude, le radon, le travail de nuit comme cancérogènes ; pour autant boire du thé, vivre en Bretagne ou travailler la nuit ne donnent pas le cancer ! Il faut analyser le risque qui est le produit du danger et de l’exposition. Ce sont les études épidémiologiques (prospectives essentiellement) qui l’établissent.

Le surrisque de cancer colorectal est d’environ 18 % pour une consommation de plus de 500 g/semaine, soit plus de 70 g/jour. Ce chiffre s’applique à un risque de base, qui est d’environ 2,5 % en France, soit 18 % de 2,5 % qui n’augmente que peu le risque de base. En nombre de cas, cela n’est pas cependant négligeable car c’est le 1er cancer en France « tous sexes confondus ». Mais quel est le niveau de consommation de viande rouge en France ? Il est en moyenne très inférieur (environ 50 g/jour pour la viande de boucherie).

​Les études montrent aussi clairement, que même si le rôle du fer héminique et des processus d’oxydation ne sont pas négligeables, le mode de cuisson grillé ou poêlé (avec la formation d’amines hétérocycliques) ou au barbecue (avec l’apparition d’hydrocarbures aromatiques polycycliques) joue aussi un rôle important et peut sans doute contribuer à l’augmentation du risque d’autres types de cancers que les cancers digestifs.

​De plus, même si les études épidémiologiques tentent d’ajuster sur les facteurs de confusion, cet ajustement reste souvent insuffisant et en tout cas n’est adapté qu’au mode alimentaire des pays considérés (États-Unis en l’occurrence). Or l’on sait que légumes, fruits, fibres céréalières, oignons, pré et probiotiques, produits laitiers, yaourts, calcium, vitamine E, vitamine C, diminuent le risque de cancer colorectal, mais aussi de maladies cardio-métaboliques. De plus, le plus souvent, en ajustant sur l’IMC, et donc sur le poids, le risque de diabète associé à la consommation de viande rouge disparaît.

Sur les questions environnementales, malheureusement les raccourcis sont faux. On compte à tort l’eau de pluie (sur les pâturages) dans la consommation d’eau par le bétail (soit 93 % des 15 000 litres évoqués pour 1 kg de viande). On oublie de dire que sur un grand nombre de pâturages produisant herbe ou foin, rien d’autre ne pourrait être cultivé – en rappelant que cela ne prive pas l’homme de nourriture car il ne peut métaboliser utilement le foin !- que l’élevage bovin en France est constitué de petits troupeaux, que l’élevage contribue à l’aménagement du paysage de bocage et de montagne, à la production d’engrais organiques et est une force de travail. Quant aux gaz à effet de serre, ils ne proviennent pour la France que de 9 % de l’élevage ; celui-ci fournit surtout du méthane qui reste moins dans l’atmosphère que le CO2 et peut être réduit par l’utilisation du lin en alimentation animale. Enfin il faut rappeler par ailleurs que les prairies stockent carbone et eau.

La viande rouge a des atouts aussi

​Aucun aliment n’est indispensable, pas plus la viande que les poireaux, mais elle est utile. Si on la supprime : que nous apporte-t-elle, et comment remplacer les nutriments qu’elle apporte ? Protéines de qualité, lipides, fer, zinc, vitamines du groupe B, B12 en particulier. Tout ceci peut être remplacé.

Cependant, la suppression de viande (végétarien) augmente le risque d’hypoferritinémie et d’anémie, et la suppression de tout produit carné (végétalisme) induit une carence grave en vitamine B12 et un risque très élevé d’ostéoporose et de sarcopénie. Le bénéfice de l’alimentation végétarienne n’est pas prouvé pour les cancers. Il existe pour le risque de diabète de type 2 et de cardiopathies ischémiques. Cependant, le risque d’accidents vasculaires cérébraux est accru chez les végétariens. Chez les enfants et les adolescents n’en consommant pas assez, le risque de carence martiale est élevé.

Alors, faut-il bannir la viande rouge de son assiette ? Il n’y a aucune raison de la bannir. Par contre, les excès (> 500 g de viande rouge / semaine) ne sont pas souhaitables.

​Une consommation modérée de viande rouge est tout à fait compatible avec une nutrition équilibrée et une bonne santé, si l’on ne dépasse ce seuil, soit environ 3 à 4 fois par semaine maximum, si on varie les modes de cuisson en privilégiant les cuissons mijotées, au court-bouillon, du type pot-au-feu; si on y associe systématiquement des légumes et un repas équilibré.

Seuls les gros mangeurs, qui sont souvent aussi dans l’excès de calories, d’alcool, de sédentarité et de déséquilibre doivent réduire leur consommation. Alterner les types de viande, alterner avec œufs et poisson, ainsi qu’avec des menus végétariens est bien sûr du bon sens tout à fait souhaitable. Chez les sujets à haut risque cardiométabolique, les conseils de prudence et de modération seront les mêmes. 

Jean-Michel Lecerf. "La viande, un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout."
Éditions Buchet Chastel, 2016

* Chef du service Nutrition &; Activité physique, Institut Pasteur Lille

Source : Le Quotidien du médecin